Cameroun - Corruption. Michel Atangana, le Français oublié de Yaoundé

Pascal Ceaux | L'Express Mardi le 18 Septembre 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Agé de 48 ans, ce financier est incarcéré depuis quinze ans pour des détournements de fonds qui lui ont pourtant valu un non-lieu. A quelques jours de sa libération, il est sous la menace d'une nouvelle condamnation pour les mêmes faits.

ADS


C'est une voix qui vient d'un autre monde, une voix où se mêlent une infinie tristesse et le vague espoir d'un miracle. Du fond de sa prison camerounaise, Michel Thierry Atangana ne sait plus comment dire son désarroi vieux de quinze ans. Sans cesse, il revit cette nuit d'octobre 1997, où, sur le coup de 3 heures du matin, sans l'assistance d'un avocat, presque en catimini, il a été condamné à quinze ans de prison pour "détournement" d'argent. "J'ai perdu tous mes repères et je ne sais vraiment plus ce qui va advenir de moi", dit ce Français de 48 ans. Car, à présent, il devrait retrouver sa liberté. Il a accompli l'intégralité de sa peine et toujours crié son innocence. Sauf que la justice camerounaise l'a à nouveau poursuivi pour les mêmes faits, et qu'elle semblait, quelques jours avant sa libération, prête à le condamner à nouveau mercredi 19 septembre.

L'arrivée de Michel Thierry Atangana à Yaoundé s'était pourtant déroulée sous les meilleurs auspices. C'était il y a près de vingt ans, en 1994. Le jeune homme, spécialiste financier, est alors dépêché de Paris par son entreprise, un groupe français de travaux publics, pour la mise en oeuvre du chantier de deux autoroutes. L'ambitieux projet associe au sein d'un consortium des sociétés françaises et l'Etat camerounais. Atangana semble l'homme de la situation. Français par mariage, père de deux fils, ayant suivi ses études dans l'Hexagone, il est originaire de ce pays d'Afrique présidé par Paul Biya depuis 1982. Pendant plusieurs mois, tout va d'ailleurs pour le mieux. L'envoyé de Paris met au point un système de financement original pour les grands travaux autoroutiers. Il est même placé par le pouvoir local à la tête du comité de pilotage (Copisur) du projet.

Le rôle trouble de Titus Edzoa

La chute n'en est que plus brutale. En mai 1997, Michel Thierry Atangana est arrêté. On lui reproche de s'être servi au passage lors de transactions effectuées pour le compte du Copisur. Au début, il refuse de croire au sérieux de l'accusation. Au téléphone, il rassure ses parents, parle d'un malentendu qui sera vite dissipé. Et soudain, apparaît dans ce décor déjà trouble, un nouveau personnage, Titus Edzoa. Ce professeur de médecine est connu comme un vieux serviteur du régime. Médecin de Paul Biya, il a successivement occupé les fonctions de secrétaire général de la présidence et de ministre de la Santé, avant de tomber en disgrâce. Volonté de revanche? Défi insensé au pouvoir? Toujours est-il que l'élection présidentielle de 1997 le voit se porter candidat contre Biya en quête d'un énième mandat.

Titus Edzoa connaît Michel Thierry Atangana. La rumeur a même couru à Yaoundé que le Français serait son directeur de campagne, même si cela n'a jamais été dit publiquement par l'aspirant à la présidence. Du coup les geôliers du financier lui font une étrange ­proposition: qu'il signe une lettre de dénonciation d'Edzoa comme le complice et bénéficiaire des détournements de fonds, et l'on reconsidérera avec bienveillance son propre cas. Il refuse net. Son sort judiciaire est scellé.

Depuis lors, Michel Thierry Atangana est enfermé dans une cellule des sous-sols du secrétariat d'Etat à la Défense. Pas de visites, un isolement presque total, un accès limité aux soins, son enfer mesure 8 mètres carrés. Pendant de longues années, le détenu est livré à lui-même. A Yaoundé, l'opinion publique, la presse le croient coupable. A Paris, sa famille se démène en vain pour attirer l'attention des autorités françaises sur son cas. La religion est le seul refuge du prisonnier oublié de tous.

En 2005, cependant, le département d'Etat américain le couche sur sa liste des prisonniers politiques dans le monde entier. Trois ans plus tard, coup de théâtre: un juge d'instruction camerounais rend une ordonnance de non-lieu total en faveur du condamné. Le document judiciaire le reconnaît totalement innocent des détournements qui lui étaient reprochés. Malgré cette décision, Atangana reste incarcéré. Le parquet a fait appel, un bref espoir de libération qui s'envole.

Pourquoi un tel acharnement?

A Yaoundé, une partie de l'opinion bascule en faveur du prisonnier. Un comité de soutien est constitué, et ses membres s'interrogent: pourquoi un tel acharnement? L'hypothèse du lien présumé avec Edzoa n'est plus la seule. Des voix évoquent la dette de plusieurs centaines de millions d'euros du Cameroun au consortium du projet autoroutier, dont Michel Thierry Atangana serait devenu l'otage. A Paris, aussi, la famille revient frapper aux portes officielles. En juillet, une lettre est adressée au président de la République, François Hollande, par son avocat, Philippe Missamou. Le transfèrement en France du prisonnier est sollicité au nom de son "état physique et mental, gravement altéré". L'Elysée vient de repondre et a promis de saisir le Quai d'Orsay du dossier.

Dans son petit appartement parisien, au milieu des photos de famille, Honorine Ewodo espère. Et si son frère franchissait enfin sa porte? Et si cette "injustice terrible", comme elle la nomme, trouvait son épilogue? Pour elle, pour ses deux neveux, les fils de Michel Thierry Atangana, elle voudrait tellement que celui-ci ne soit plus le Français oublié...

L'extrême prudence de Paris

Pour le ministère des Affaires étrangères, le cas de Michel Thierry Atangana n'existe que depuis 2010. Ce n'est qu'à partir de cette date que le Quai d'Orsay s'est préoccupé du sort de ce Français incarcéré au Cameroun depuis 1997. Le prisonnier a reçu trois visites consulaires les 7 octobre 2010, 7 juin 2011 et 17 avril 2012. Et l'ambassadeur de France Bruno Gain est intervenu discrètement plusieurs fois pour obtenir l'amélioration des conditions de détention du prisonnier condamné à une peine de quinze ans de réclusion.

Il n'empêche qu'à une trop longue indifférence a succédé une extrême prudence. Interpellé par Jack Lang sur le sort de Michel Atangana, le ministre des Affaires étrangères d'alors, Alain Juppé, avait répondu, le 15 juillet 2011: "Le droit international proscrit toute ingérence dans le fonctionnement de la justice d'un Etat étranger souverain." Difficulté supplémentaire, souligne-t-il: le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité. Pour le régime de Paul Biya, Atangana n'est pas français.

Le changement de majorité intervenu à la suite de l'élection de François Hollande, le 6 mai dernier, n'a en apparence rien changé au discours officiel, même si ­Honorine Ewodo, la soeur du détenu, a été reçue par un haut fonctionnaire du ministère. Un courrier du 25 mai 2012 lui rappelle que "l'action des autorités françaises s'inscrit dans le cadre du droit international qui proscrit, en raison du principe de souveraineté des Etats, toute ingérence dans le fonctionnement de la justice camerounaise. Dans ces conditions, elles ne sont pas fondées à intervenir dans le déroulement de la procédure judiciaire en cours."

 

ADS

 

ADS

ADS

Les plus récents

Rechercher un article

ADS

ADS