Cameroun - Communication. Entreprises de presse : les patrons en mode jonglerie

Aboudi Ottou | Intégration Jeudi le 04 Mai 2017 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Face à la crise qui frappe la presse imprimée, les éditeurs camerounais disent avoir adopté la débrouillardise comme mode de résilience.

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Des journalistes qui revendiquent une ou deux années de salaires impayés…

Il y a longtemps que cela ne choque plus l’opinion. Tellement ces cas sont légion dans la presse imprimée au Cameroun. Le pire, c’est que même les organes les plus emblématiques du pays sont touchés. Il y a quelques jours encore, les employés du journal Le Messager, créé en novembre 1979, s’étaient mis en grève. D’après le préavis de grève adressé le 12 avril 2017 à Rodrigue Tanendjio, le gérant de l’entreprise, le personnel disait revendiquer : le paiement complet de 13 mois d’arriérés de salaire; la signature des contrats de travail aux employés qui n’en ont pas; l’immatriculation de l’ensemble du personnel à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et le reversement effectif des cotisations dues. Sous la médiation du Syndicat National des Journalistes du Cameroun (SNJC), un accord a été finalement trouvé et prévoit un apurement progressif des arriérés de salaires.

A Mutations, un autre monument de la presse camerounaise qui a célébré son 20e anniversaire l’année dernière, un collectif d’employés conduit par Félix Cyriaque Ebolé Bola a porté plainte en début d’année contre Protais Ayangma, président-directeur général de la South Media Corporation (SMC), entreprises éditrice de Mutations. Au nombre des récriminations, 30 mois de salaires impayés.

De sources internes, ces deux dernières années (2015 - 2016), le personnel de ce quotidien n’aurait perçu à peine que 6 mois de salaires. Normal donc que le principal challenge de George Alain Boyomo, nouveau directeur de publication, soit de « gagner le pari de la viabilité économique de l’entreprise afin que les journalistes de Mutations puissent vivre de leur salaire ».

Déficit de management

Salaires bas et irréguliers, convention collective non respectée, couverture sociale non assurée, les journalistes camerounais vivent dans des conditions précaires à quelques exceptions près. Ce qui fait dire à Dénis Kwebo, président du SNJC qu’«il y a une alliance de patrons de presse pour maintenir les journalistes en esclavage ». Pour les responsables des syndicats de journalistes, les chefs d’entreprise de presse font notamment preuve de mauvaise gestion. La section camerounaise de l’Union internationale de la presse francophone (UPF) pense également que ce problème est réel. Elle a d’ailleurs organisé l’année dernière, lors de la 22e édition de la journée internationale de la liberté de la presse, une conférence-débat sur le management de la presse. A l’occasion, les responsables des organes de presse ont été invités à devenir «de bons managers des ressources humaines et matériels mises à leur disposition pour être une force motrice de son entité éditoriale et entrepreneuriale».

Mais à bien regarder, les choses semblent bien plus complexes : «dans leur grande majorité, les journaux de la zone subsaharienne ne sont pas rentables, si l’on s’en tient aux revenus issus des ventes et de la publicité» soutient Julia Cagé, professeur d'économie à Sciences- Po Paris, dans une tribune publiée en fin d’année dernière sur le site du magazine panafricain, Jeune Afrique. Pour le PDG de la SMC, les difficultés des entreprises de presse au Cameroun auraient également à voir avec l’environnement économique. «Au lieu de questionner le modèle économique de la presse et de chercher avec les patrons de presse des solutions, vous vous livrez à l'anathème, à la stigmatisation. Certains de vos collègues parfois parmi les plus virulents ont tenté une aventure éditoriale et connaissent les mêmes difficultés que ceux qu'ils fustigeaient hier», réagissait en fin d’année dernière Protais Ayangma à un post Facebook de Charles Ngah Nforgang. Cet autre membre du SNJC qualifiait les patrons de presse d’«ennemis de la presse et du progrès».

Débrouillardise

Anciens comme nouveau, la quasi-totalité des éditeurs de presse se plaignent en effet d’avoir des difficultés à équilibrer leur compte d’exploitation. «En une année de fonctionnement, j’ai fait des rentrées de 10 millions de francs CFA alors que seule ma masse salariale annuelle s’élevait à 13 millions», indique Melanie Betebe Mbia, à la tête du projet éditorial, Baromètre Communautaire, depuis 17 mois. «Les prestations que nous offrons se font généralement à crédit. Comme nous n’avons pas des fonds de roulement importants, nous sommes obligés de jongler», indique cette journaliste qui dirige par ailleurs le service économique de la télévision publique (CRTV). «La débrouillardise », c’est aussi le mode de résilience dans les autres organes de presse. D’où les arriérés de salaire à n’en plus finir. Selon Haman Mana, directeur de publication de Le jour, un autre quotidien important du pays, son journal «vit aujourd'hui grâce à la solidarité de son équipe» (voir interview).

Pour tous ces patrons de presse, les principales difficultés tiennent à «un marché de la publicité verrouillée», des retards dans le paiement des factures et à une distribution inefficace.

«En 17 mois d’existence, nous avons reçu seulement neuf cent mille francs CFA comme produit de la vente au numéro», relève Mélanie Betebe. Ils décrient aussi le soutien insuffisant de l’Etat, pourtant, revendiquentils, «même la presse à capitaux privés exerce une mission de service public».

Regroupement

En mai 2016, la Fédération des éditeurs de presse du Cameroun (Fedipresse) a adressé un mémorandum au gouvernement pour demander une réforme de l’aide publique de l’Etat. Cette réforme devrait être articulée, selon le document, autour des points suivants: l’adoption d’une loi instituant l’aide publique à la presse privée ; la création d’un compte d’affectation spéciale doté de deux milliards (2 000 000 000) de francs CFA, arrêté chaque année par le Parlement dans le cadre de l’adoption du budget de l’Etat et la création d’une structure paritaire gouvernement-organe de régulation-organes de presse pour la sélection des entreprises devant bénéficier de l’aide publique à la presse privée ». Pour l’instant, c’est le silence radio côté gouvernement.

En attendant, peut-être vaudrait-il essayer ces solutions que propose Julia Cagé, qui sont de la seule responsabilité des éditeurs de presse. Il s’agit de la concentration actionnariale.

«En raison de marchés publicitaires restreints et d’un pouvoir d’achat limité, de nombreux pays subsahariens ne peuvent compter qu’un nombre limité de médias, compte tenu du coût de production de l’information. En Afrique du Sud, l’une des raisons du récent succès de la presse écrite s’explique par la rationalisation du secteur. La majorité des publications sont détenues par quatre groupes : Naspers, Johnnic, Caxton & CTP Publishers et INM South Africa», explique l’enseignante d’économie. Une autre manière de profiter d’économies d’échelle plus importantes «serait de développer des synergies entre journaux locaux, capables de diffuser en langues locales, et journaux nationaux.

Le modèle économique des publications partageant leur rédaction peut être intéressant», ajoute-telle.

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