Cameroun - Politique. Cameroun: La face cachée de la fonction de Ministre

GEORGES ALAIN BOYOMO | Mutations Mercredi le 11 Décembre 2013 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
De la fonction de ministre, de nombreux Camerounais ne connaissent que le côté prestigieux.

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En effet, dans une société où accéder à ce poste élevé dans l'appareil politico-administratif, synonyme de position de rente, est considéré comme un couronnement, les bousculades sont légions au portillon. Les honneurs et les privilèges qui vont avec ne laissent donc personne indifférent. Même si au bout, beaucoup sont appelés et peu son élus. Même si après avoir exercé comme ministre, nombre d'élus achèvent leur parcours en prison. En cinq tableaux, Mutations présente le côté-calvaire de la fonction ministérielle au Cameroun.


1-Budget: Le casse-tête chinois

L'argent est le nerf de la guerre, a-t-on coutume de dire. A cet égard, chaque ministre est particulièrement regardant sur le budget de son département ministériel. Mais comment les budgets sont-ils ventilés par ministères. Pourquoi les grandes disparités observées ici et là ? Le budget, indique un expert, est «l'expression de la mise en œuvre d'une politique sectorielle».

Après la circulaire présidentielle, qui donne les orientations générales, les ministres expriment, chacun leurs besoins au ministère des Finances, qui prépare le budget de l'Etat. Un premier arbitrage est fait au cours de la pré-conférence budgétaire. Après quoi, le Premier ministre adresse des lettres de cadrage (lettres-plafonds) à chaque ministère; avant la conférence budgétaire. Pour une bonne répartition par programmes, des crédits et des emplois, une discussion en conseil de cabinet ou en conseil ministériel est nécessaire, comme en France, pour ne citer que ce pays, où le projet de loi des finances est adopté en conseil ministériel. Ce qui n'est pas fait au Cameroun.

Au plan de la gestion budgétaire, un ancien ministre dénonce la tendance de cer¬tains responsables des services du Pm ou de la présidence de la République à leur imposer le payement de prestations obscures «pour la promotion de l'image de marque du Cameroun», alors qu'aucune ligne budgétaire n'est censée les supporter. «Il y avait une ligne fonctionnement divers et imprévus. Mais avec le passage au budget-programme, il est difficile à l'ordonnateur principal qu'est le ministre de piocher dans une ligne, car tout est spécifié. Le budget est un acte de prévision», informe une source. Qui précise, cependant, que peu sont les ministres qui ne cèdent pas à la pression de la «hiérarchie» ou de la «très haute hiérarchie» pour de telles requêtes.


2-Ressources humaines: La course d'obstacles

Mettre en place une équipe de travail en phase avec ses objectifs n'est pas chose aisée pour un ministre sous le Renouveau. De fait, un ministre est autorisé à nommer les chefs de bureau, les chefs de service et les sous-directeurs. Pour le dernier poste cité, le visa du Premier ministre est indispensable. S'agissant des directeurs et assimilés (chefs de divisions), ils sont nommés par le Premier ministre, sur propositions du ministre. Le visa de la présidence est incontournable. Enfin, les inspecteurs, conseillers techniques et secrétaires généraux sont nommés par le Président de la République.

Tout compte fait donc, le ministre n'a généralement pas des coudées franches sur la formation de son équipe de travail. Très souvent, les propositions de nominations des ministres sont dénaturées. Les services du Pm ou de la présidence leur imposent des agents qui ne répondent pas au profil du poste. Nos sources rapportent que les nominations sont bloquées dans beaucoup de ministère à cause de telles pratiques. Le cas du ministère des Finances est cité, même si sous Alamine Ousmane Mey, des directeurs généraux ont été nommés au Minfi. Cependant, il peut arriver qu'un ministre passe trois ans à la tête d'un département ministériel sans pouvoir faire passer des nominations. Or, c'est bien lui, le ministre, qui en répond des résultats.


3- Solidarité gouvernementale: A quel leurre ?

L'un des gros problèmes qu'un ministre rencontre au Cameroun tient à ses relations avec ses collègues du gouvernement. Les rivalités sont nombreuses entre les ministres, du fait du chevauchement des compétences (dû à la pléthore de ministères), des ambitions ou du rayonnement personnels de chacun. En effet, il va de soi qu'un ministre de l'Administration territoriale et de la Décentralisation est plus influent qu'un ministre de l'Artisanat. Un ministre des Affaires sociales n'atteint pas la cheville d'un ministre des Travaux publics, ne serait-ce qu'en termes d'enveloppe budgétaire.

Bien plus, dans sa première lettre ouverte, Marafa Hamidou Yaya rapporte une déclaration cinglante du Chef de l'Etat, Paul Biya, à son endroit, sur la hiérarchisation gouvernementale: «Monsieur le ministre d'Etat, vous êtes combien de ministres dans ce gouvernement ? Peut-être dix ou quinze tout au plus. Le reste, ce sont des fonctionnaires à qui j'ai donné le titre».

Les rivalités entre les ministres sont amplifiées par le caractère épisodique des conseils ministériel. Même quand ceux-ci se tiennent, ils se réduisent à la «communication spéciale» du Chef de l'Etat. Cependant, un ancien ministre raconte qu'il avec pris son courage à deux mains en sollicitant la parole lors d'un conseil ministériel. Autour de lui, c'était la stupeur générale. «Beaucoup de mes collègues ont certainement pensé que je signais par cet acte, mon arrêt de mort. Mais le Président a écouté ma préoccupation et a instruit le ministre des Finances, avec qui je ne partageais pas le même point de vue sur un dossier sensible, de s'exécuter en toute célérité. Précisant que si ma doléance n'était pas satisfaite, il le saura en se renseignant auprès de moi».

S'agissant de hiérarchie, le ministre doit gérer la hiérarchie des services du Premier ministre, du secrétariat général de la présidence et du cabinet civil, mais également «la hiérarchie parallèle». Il s'agit des parents, des proches et autres affidés du Chef de l'Etat et de la Première dame. «Vous ne pouvez pas aller à l'hôpital et négliger le laborantin parce qu'il n'est pas le médecin chef; il peut manipuler les résultats dans son laboratoire et vous régler le compte. Le ministre est dans la situation d'un patient qui affronte ce dilemme».


4-Information et stratégie: Où est le bon réseau?

Au Cameroun, l'on a coutume d'annoncer un remaniement ministériel à peine l'encre du précédent séché. D'ailleurs, en 31 ans de magistrature suprême, Paul Biya a déjà remanier ou réaménagé son gouvernement 35 fois. Traduction: l'espérance de vie d'une équipe gouvernementale oscille entre neuf et dix mois. Cela dit, un bon ministre doit avoir ses journaux et ses journalistes. Mais également ses agents dans les services de renseignements pour ne pas être pris au dépourvu sur une importante occurrence.

Jean-Marie Atangana Mebara n'est pas loin de parvenir à cette conclusion dans son livre «Lettre d'ailleurs...». L'ancien secrétaire général de la présidence de la République indique: «Je reconnais qu'avec une certaine presse, je n'ai pas eu les relations qui étaient espérées ou attendues (du fait de je ne sais quelle légitimité villageoise, tribale ou départementale mal vécue). Ce que les membres de cette presse la ne pouvaient pas comprendre, c'est que j'avais fait le choix, dans les hautes fonctions de l'administration et du gouvernement que j'ai eu l'honneur d'occuper, de toujours privilégier l'efficacité et la discrétion à toute autre attitude, en tout cas, de garder de la distance avec la tentation du vedettariat», confesse-t-il.

L'ancien Minesup poursuit, comme rattrapé-par la réalité camerounaise: «...Je n'ai jamais voulu être le «sponsor» de tel média ou celui de tel journaliste. Du reste, au-delà de mes convictions, je n'aurais jamais eu les moyens de tenir longtemps un tel rôle. Ces choix ont engendré quelques malentendus avec certains».

Quant aux agents de renseignements, ils doivent être engraissés pour toujours dire du bien de vous auprès de la «haute hiérarchie» et vous fournir des informations stratégiques en temps et en heure. Ça peut toujours dépanner. Des mauvaises relations avec ses «relais» à la Dgsn ou à la Dgre peuvent être préjudiciables pour un ministre.

Parlant des émeutes de février 2008 et de la nébuleuse G11, dont il a été désigné par les services spéciaux comme l'un des membres actifs, Atangana Mebara affirme: «Certains services d'information de l'Etat ont continué à soutenir que ces émeutes n'auraient pas connu l'ampleur observée sans la participation du G11. Mais qui exactement est le G11? Peut-on dire que tous les services spéciaux camerounais ont été à ce point défaillants, qu'un groupuscule politique a pu naître, se développer et se renforcer au point de menacer la stabilité du pays, sans qu'aucun (de ces services) ne s'en soit aperçu.? Pourquoi les preuves de l'implication de ces personnalités dans lesdites émeutes ne sont pas rendues publiques? Pourquoi ces personnalités n'ont-elles pas été poursuivies pour ces infractions, prévues et réprimées par le Code pénal »? s’interroge-t-il. Un ministre en fonction soutient pour sa part que «gérer, c'est prévoir. Prévoir, c'est se renseigner». C'est tout dire. 

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