Cameroun - Politique. Christian Penda Ekoka: prêcher en pensée et par action

cameroun24.net Mercredi le 01 Septembre 2021 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Ce ne fut pas la destination que certains auraient pu prédire. Beaucoup en parurent déroutés.

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 Le «recrutement» de Christian Penda Ekoka (Cpe) comme Conseiller technique (Ct) au cabinet civil de la présidence de la République en étonna plus d’un, aussi bien au sein de l’opinion que dans ce que l’on pourrait considérer comme son «premier cercle». Le décret présidentiel du 4 mars 2010 matérialisant son entrée au «Palais» ne manqua pas de susciter une lecture politicienne. En l’occurrence, cette nomination fut perçue sous le prisme de l’une des luttes d’influence les plus mémorables autour du chef de l’État, au long des deux dernières décennies, entre Laurent Esso et Martin Belinga Eboutou, alors secrétaire général à la présidence et directeur du cabinet civil, respectivement. Une certaine lecture politique mettait ainsi en avant les origines communes à Laurent Esso et à Cpe (tous deux douala), et considérait que Martin Belinga Eboutou avait favorisé l’ascension du tout nouveau Ct en vue d’en faire un rival politique du Sgpr de l’époque. «Sociologie» spontanée, enfermée dans des repères et ses schèmes endogènes, et en attente d’un brevet scientifique.

Les moins distraits savaient au moins une chose: Cpe ne fut pas homme à se laisser embrigader dans des corsets «villageois», tant ses préoccupations allaient bien au-delà des aires culturelles. Le Cameroun fut en effet pour lui un observatoire de notre désarroi tout en paradoxes, autant qu’un laboratoire d’idées foisonnantes et innovantes, et de propositions aussi ambitieuses qu’audacieuses. Le consultant exigeant et l’économiste reconnu qu’il fut innerva le circuit décisionnel au sommet de l’État de ses «notes», bien avant même son arrivée au «Palais». Là, il donna la mesure de sa crédibilité et celle de son attachement à sa liberté. Il y pulvérisa quelques codes, au grand étonnement de beaucoup. À titre d’illustration, il ne recourut jamais à des assistantes pour la saisie sur ordinateur des «notes» destinées au chef de l’État. Confiance en soi, d’abord. Méfiance aussi dans ce «Palais» réputé pour ses coups bas, et au sujet duquel Joseph Charles Doumba, alors ministre chargé des Missions, accueillant une nouvelle recrue dans les années 80, eut cette maxime au titre de mise en garde: «Ayez peur de tout le monde ici, y compris de votre propre ombre».
Venu au cabinet du chef de l’État en réponse à une sollicitation – au moins facilitée par Martin Belinga Eboutou, Cpe entreprit très rapidement de s’affranchir d’une «tutelle» qu’il jugeait par trop pesante, et d’un «mentorat» devenu encombrant au fil des mois. Il trouva sa voie. Afin de faire entendre sa voix de manière plus efficace aux oreilles présidentielles. Liaison quasi-directe. Régulière aussi, et par moments, quotidienne. La brouille avec le Dcc de l’époque fut plus ou moins confidentielle, mais aussi brutale qu’irréversible. Quelques indicateurs d’une certaine «réconciliation» entre les deux tendirent à s’accumuler, sans qu’elles présentassent une irréfutable consistance.

Liberté, toujours…
Cpe quitta finalement le «Palais». Méthodiquement. Ses contempteurs qui prétendirent autre chose recoururent à un discours calomnieux, alimentant une polémique aussi vaine que stérile. Le Ct eut tout de même le temps de graver dans le marbre – celui du «Palais» comme celui de l’Histoire – son empreinte. Il y lassa des traces. Qu’il fût question des problématiques économiques, des sujets politiques – encore l’imbrication des deux domaines est-elle si patente, il exerça avec habileté, détermination et appétit cette fonction de conseiller du «Prince». Alertant ici sur des dérives. Pointant là des insuffisances. Proposant toujours des pistes de réflexion et des voies de sortie. Avec certes, un évident tropisme vers les questions fondamentalement économiques, et une réel insistance pour les sujets relatifs à la gouvernance, pour un pays dont il espéra qu’il sortirait la tête de l’eau, au vu de ses potentialités économiques et des ses capacités humaines.

Il remit par exemple au goût du jour la nécessité de la révision des droits de transit du pétrole tchadien sur le territoire camerounais dans le cadre du pipeline Tchad-Cameroun. Il ruina la pertinence du retour du Cameroun sous la «tutelle» du Fonds monétaire international. Il démonta, en 2008, un rapport élaboré par un groupe d’économistes réputés au sujet des conséquences sur le Cameroun de la crise financière déclenchée aux États-Unis, ainsi que les propositions pour y faire face; conduisant le président de la République à renvoyer la copie au Premier ministre, Ephraim Inoni. Il proposa, sans succès, que la célébration, en 2014 à Buea, du «centenaire de la Réunification» servît d’opportunité pour l’énonciation des annonces fortes à propos du «malaise anglophone», par le chef de l’État…

Obnubilé par le rêve d’un Cameroun prospère, qui assure au maximum de ses filles et fils le minimum décent acceptable, il s’employa à faire passer ses idées. En toute liberté.
Liberté de ton. Liberté d’action aussi. Militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais ayant abordé dans son livre(1) «l’impératif de modernisation», il répondit tout naturellement à l’appel du «groupe pour la modernisation du Rdpc», qui vit le jour quelques années plus tard, sous la houlette de Pierre Mila Assoute. Il s’agissait d’œuvrer pour un changement de logiciel managérial du «parti proche du pouvoir». Son engagement aux côtés de Maurice Kamto, président du Mrc, qui se révéla en 2018, contribua à mettre en lumière cet attachement à la liberté dont il sut faire montre. La preuve: il assuma les divergences nées de la gestion controversée des fonds collectés dans le cadre de Cameroon Survie Survival Initiave mis en place pour aider les populations à faire face à la pandémie du Covid-19.

Au fond, Cpe nous oblige à revisiter, pour nos débats d’aujourd’hui et de demain, la question du rôle de l’intellectuel chez nous, avec ce qu’elle suggère des identités, des profils, des maximes de vie et d’action, dans un environnement où triomphent les stratégies de rente, les logiques d’accumulation, les manœuvres de positionnement nombriliste, avec leur lot d’obséquiosité au «chef central», de double langage, de duplicités, de renoncements, de démission. C’est pourquoi ces propos de Jacques Attali nous semblent en résonnance avec la figure de Cpe, dans ce qu’il délivra en pensée, qu’il traduisit en actions. «Dans le monde d’aujourd’hui insupportable et qui, bientôt, le sera plus encore pour beaucoup, il n’y a rien à attendre de personne. Il est temps pour chacun de se prendre en main. Ne vous contentez pas de réclamer une allocation ou une protection à l’État, arrachez-vous à la routine, aux habitudes, au destin tout tracé, à une vie choisie par d’autres. Choisissez votre vie! Où que vous soyez dans le monde, homme ou femme, qui que vous soyez dans la société, agissez comme si vous n’attendiez plus rien des gens de pouvoir; comme si rien ne vous était impossible. Ne vous résignez pas! Ne vous bornez pas à dénoncer l’«horreur économique» du monde, ne vous contentez pas de vous indigner: l’une et l’autre ne sont que des formes de lâcheté mondaine. Pour vous débrouiller, pour réussir votre propre vie, ayez confiance en vous. Respectez-vous. Osez penser que tout est ouvert. Ayez le courage de vous remettre en question, de bousculer l’ordre établi, d’entreprendre et de considérer votre vie comme la plus belle des aventures»(2).
Rendre hommage à Cpe, c’est déjà, en un sens, méditer et s’approprier ces lignes, qu’il aurait pu du reste rédiger lui-même et que sa vie nous aura enseignées. Tout un programme… de vie!

Valentin Simeon Zinga


(1) Christian Penda Ekoka, Cameroun: vers le 3e millénaire, Edi’Action, Yaoundé, 1997, pp 162-206.
(2) Jacques Attali, Devenir soi, Fayard, Paris, 2014, pp7-8.

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