Cameroun - Communication. L'état de décrépitude de la presse camerounaise

cameroun24.net Lundi le 13 Novembre 2017 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Personne ne se faisait d’illusions sur la profession de journaliste au Cameroun. Il n’est en effet pas possible que dans un pays si gangréné par la corruption, cette profession soit la seule épargnée.

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Cependant, entendre au cours d’une émission en « prime time » un journaliste connu déclarer, entre autres, qu’il a reçu 5 000 000 FCFA de la « pulpeuse » Nathalie Nkoa pour corrompre la presse afin qu’elle salisse l’image de Samuel Eto’o est grave.

Gravissime est cet autre aveu consistant à indiquer que suite à l’intermédiation de Jean Bruno Tagne de Canal 2 et Philippe Bonney, il a reçu des photos de Nathalie Nkoah de la part de Samuel Eto’o (et sans doute autre chose) pour changer d’avis et se retourner contre sa « première cliente ».

Mais il faut savoir faire la part des choses : même corrompue, la presse est plurielle et malgré tout, c’est grâce à elle que les Camerounais arrivent quand même à savoir ce qui se passe dans leur environnement.

Il faut bien comprendre qu’on n’est pas arrivé à cette situation par hasard.

LA PRESSE DES ANNÉES 90

Ce qu’il est important de savoir, c’est qu’à cette période dominée encore par les lois d’Ahmadou Ahidjo, devenir Directeur de Publication n’était pas une sinécure. Une enquête de moralité et un lourd dossier arrivait sur la table du ministre de l’Administration Territoriale qui pouvait ou non le rejeté.

Aujourd’hui, il suffit juste d’une déclaration faite à un préfet. Si ce système mis en place par Ahmadou Ahidjo existait encore, combien de Directeur de publication actuels auraient traversé ce filtre ?

Pourquoi le régime de Paul Biya a changé les règles ? Nous le verront plus loin.

Lorsque j’arrive dans ce milieu en 1990, « Le Combattant », « La Gazette », « Le Messager »… sont sur le terrain et se battent dans des conditions difficiles. Le journal de Pius Njawe est celui qui souffre le plus parce qu’il s’aventure dans le domaine politique ; pour cela, il est la cible principale de la censure. Le slogan de son journal est alors, « le journal qui apparait à l’improvise ».

Je lui explique qu’il est nécessaire de prendre un rendez-vous fixe avec nos électeurs. Je propose tous les mercredis pour mon journal, lui jeudi et plus tard nous laisserons le mardi à Sévérin Tchounkeu.

Notre modèle économique est simple : faire tout ce qui est possible pour faire le meilleur journal possible afin de maximiser nos ventes ; mettre en place un embryon d’organisation pour défendre nos intérêts collectifs.

Comment avec Pius Njawé, on a sauvé la presse actuelle et enrichi des entreprises comme la société Safca du groupe Fotso ?

Nous étions alors forts comme en témoigne cet épisode. Au lancement de la TVA et en violation des conventions internationales, le gouvernement impose cette TVA à l’importation du papier journal qui va renchérir les couts de fabrication de presque 20%. En tant qu’imprimeur des journaux, j’indique à Pius Njawe que je suis obligé d’augmenter les tarifs et que seul le ministre des finances peut faire quelque chose.

Malgré la « guerre » que nous menions contre le gouvernement, Pius appelle immédiatement le ministre des finances Justin Ndioro et lui explique la situation. Le ministre nous donne rendez-vous pour le lendemain matin à Yaoundé. Pius fait venir Severin Tchounkeu et le met au courant de la situation.

Mais au moment de nous en aller, il nous rappelle en criant presque pour nous rappeler que nous sommes tous les trois bamiléké et que ce n’est pas bon pour une cause nationale. C’est ainsi qu’il appelle immédiatement Michel Michaut Moussala qui se joindra à nous.

Le ministre Justin Ndioro, un homme de très grande classe, écoute mes explications et déclare : « je n’ai pas à pénaliser la presse si elle a raison. Je vais vérifier et prendre des mesures ».

A notre sortie, sa secrétaire nous annonce que le ministre délégué au budget Roger Melingui a appris que nous sommes là et veut nous voir. Nous avons passé un moment agréable dans son bureau.

Aucun des deux n’aurait pensé à nous offrir ne serait-ce que des bons de carburant, le « minimum quasi légal » actuel.

Pour en revenir à Justin Ndioro, dès le lendemain, Pius Njawé m’appelle pour me dire que le ministre vient de lui dire qu’il a fait le nécessaire.

Monsieur Gwanala (Pardon pour son nom), le directeur des douanes me reçoit tout sourire quelques heures plus tard et me montre le fax reçu du ministre.

Mais qui a réellement profité de notre action ? Pas seulement la presse, mais des industries comme le groupe Safca de Fotso qui utilisait le papier journal pour fabriquer les cahiers scolaires ; ainsi que de nombreux vendeurs de papier pour imprimerie.

Tout cela juste pour montrer qu’en se réunissant sur l’essentiel et en mettant le lecteur au cœur de notre stratégie, nous étions très forts et vivions pour l’essentiel de nos ventes.

POURQUOI LES CHOSES ONT CHANGE ?

A mon avis, plusieurs facteurs entre en jeu :

a) Les magouilles du pouvoir

Il n’accepte plus l’influence des journaux de Douala qu’il qualifie de « journaux bamiléké ». Les règles pour devenir Directeur de publication sont alors modifiées et de nombreux journaux naissent à Yaoundé (Les ministres Fame Ndongo et Joseph Owona peuvent en dire plus) dont l’un avec un commissaire de police comme Directeur de Publication.

Suite à une énième suspension, nous produisons un journal commun pour nous plaindre : dans ces journaux, un ministre bien connu qui écrivait sous le pseudonyme d’Oussibita d’Assotol Ebolo nous qualifie de « La Sainte Trinité ».

b) Le rôle néfaste de la Crtv

Ces journaux de Yaoundé n’ont pas de lecteurs ; leurs responsables font le tour des ministres et des sociétés d’Etat afin d’obtenir les moyens nécessaires pour assurer leur fonctionnement quotidien.

Ils ne suivent que l’exemple des journalistes de la Crtv qui pour le moindre reportage, demandent aux préfets, maires, ministres, directeurs de société…les «frais de carburant ». C’est comme cela que le terme « gombo » s’impose dans la presse.

c) La victoire volée de Ni John Fru Ndi et la dévaluation du Franc CFA

La presse, qui pour l’essentiel avait soutenu ce candidat, subit un contre fouet terrible après cet échec. On eut dit que les électeurs voulaient nous faire payer le rêve avorté.

La dévaluation de CFA est venu tout aggraver de telle sorte qu’un journal comme le Messager est passé de 100 000 exemplaires à 25 000 ; Challenge Hebdo de 70 000 à 15 000. Partout, c’était le même désastre.

Quelle entreprise peut supporter sans de gros dégâts une telle perte de chiffre d’affaires ?

d) Les nouvelles techniques de « marketing » inventées par la jeune génération des Directeurs de publication

Au lieu de continuer à nous serrer les coudes, certains se sont mis à appliquer les méthodes des journaux de Yaoundé.

On pouvait lire désormais des titres comme ceux-ci :

- Mebe Ngo’o, l’homme qu’il faut à la place qu’il faut

- Qui en veut à Tchouta Moussa ?

- Motazé, le sauveur des retraités à la CNPS

D’autres « experts » ont vite trouvé un autre filon basé sur du chantage :

- Dans notre prochaine édition, tout sur les frasques du directeur général de la Camair.

- A ne pas manquer jeudi prochain : comment les milliards se sont envolés au port de Douala.

Peu importe si les lecteurs ne découvrent pas ces « pseudo révélations », l’objectif est ailleurs : se remplir les poches à moindre frais.

A ce petit jeu-là, la presse dans son ensemble a perdu de sa crédibilité.

e) Le rôle des lecteurs et des hommes publics

Au lieu de soutenir les médias qui essayent de rester un peu à l’abri de tout cela, la presse est abandonnée. On ne peut pas refuser d’acheter les journaux ; se contenter de lire des articles pillés par des pirates sur le net et s’attendre à une presse de qualité. Combien parmi ceux qui braillent aujourd’hui sont prêts à prendre un abonnement sur un site payant ? L’information a un cout et il est évident que si le lecteur ne paye pas, il faut bien que quelqu’un le fasse à sa place.

Sur le même plan, cette hypocrisie de la classe politique et d’affaires est insupportable. C’est elle qui est prompt à utiliser les médias quand ses intérêts sont menacés et qui se plaint quand ses adversaires utilisent les mêmes méthodes.

QUE FAUT-IL FAIRE ?

Je ne cesse d’indiquer que notre classe politique ne travaille pas assez. Jamais je ne soutiendrai un candidat actuel car on ne va pas remplacer Paul Biya avant de savoir ce qu’on veut faire.

C’est dès maintenant que les partis politiques, les candidats à la présidentielle doivent dire clairement ce qu’ils veulent faire, avec qui et avec quels moyens.

En ce qui concerne les médias, à part s’exciter devant quelque chose d’intolérable, comment on fait pour redresser la situation, les médias étant au cœur de la démocratie ?

VOICI QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION :

1- Le pouvoir doit consacrer entièrement le fruit de la redevance audio visuelle au financement des médias d’Etat à savoir CRTV, Cameroon Tribune, Camnews… Ces médias doivent se voir interdire le passage de la moindre publicité et annonces privées car cette redevance a atteint, je crois, certaines années les 17 milliards de FCFA: c'est plus qu'assez.

2- Les publicités et les annonces doivent être exclusivement réservées aux médias privés.

Plutôt que d’interdire et de mettre les journalistes en prison, l’Etat sera alors fondé pour sanctionner financièrement, selon des critères à négocier avec la profession, les journaux défaillant en matières de traitement des journalistes et de l’information.

Mais on ne peut pas demander aux gens désargentés de travailler sans revenus. Les télés par exemple ne vivent pas de vos applaudissements devant le petit écran.

Benjamin Zebaze

*Le titre est de la rédaction

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