Françafrique. Sortir du Franc CFA pour briser le carcan Néocolonial !

Paul Martial | Afriques en Lutte Mercredi le 11 Janvier 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Avec la crise économique les rumeurs se font de plus en plus pressantes sur la dévalorisation du Franc CFA ; ceci occasionne de multiples débats sur l’opportunité, ou non, pour les pays africains qui en sont membres de sortir de ce système. Une occasion pour « Afrique en Lutte » de revenir sur le sujet.

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En fait quand on parle de Franc CFA on devrait parler des Francs CFA puisqu’il y a plusieurs monnaies qui coexistent sous cette appellation, indépendamment les unes des autres. Le Franc CFA de l’Afrique de l’Ouest dont le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo sont membres. Celui de l’Afrique Centrale avec le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.

A ces deux groupes majeurs s’ajoutent le Franc des Comores, de la Guinée et du Rwanda. Pour les deux premiers groupes chacun a sa structure bancaire idoine chargé de gérer la monnaie, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour l’Afrique de l’Ouest et Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) pour l’Afrique Centrale.

De manière très simple on peut considérer le Franc CFA, dont l’ancien nom était Franc des colonies françaises d’Afrique, comme une excroissance africaine de l’Euro après qu’il ait remplacé le Franc. Le Franc CFA a un taux de change fixe avec l’Euro et les pays africains de la zone CFA ont l’obligation de déposer la moitié de leur réserve de change au Trésor Public français. Les droits d’émission sont censés être décidé par les deux banques BCEAO et BEAC, mais l’effectivité de leurs décisions requiert une unanimité, ce qui se traduit dans les faits par un droit de veto pour les représentants du Trésor Public français. L’épisode de 1994, où le gouvernement français de l’époque, de manière unilatérale et brusquement, avait décidé la dévalorisation de 50 % de la valeur du Franc CFA, montre qui sont les vrais maîtres de cette monnaie.

LES LIMITES D’UN DÉBAT

Adversaires et partisans du maintien de la zone Franc CFA s’échangent, depuis des décennies, les mêmes arguments. Pour les uns, le maintien dans la zone CFA est une garantie de stabilité économique qui permettrait un développement productif et un afflux d’IDE (Investissement Direct Etranger), argument loin d’être convainquant car les stabilités économiques peuvent se trouver dans d’autres pays africains, comme c’est le cas de la plupart des pays d’Afrique Australe. A contrario, il est pour le moins difficile de présenter des pays tels la République Centrafricaine come l’archétype de la stabilité économique. D’ailleurs les experts économiques soulignent : « le secteur bancaire est demeuré généralement bien capitalisé et a disposé de provisions suffisantes, des frictions sont néanmoins apparues çà et là. La faillite de plusieurs institutions de dépôt illégales dans quelques pays, dénotait certaines insuffisances des mécanismes de régulation et de surveillance. La trop forte exposition des banques commerciales à des prêts non performants accordés au secteur du coton au Bénin, au Burkina Faso, au Tchad et au Mali, a constitué une vulnérabilité substantielle étant donné que les prix intérieurs sont faibles depuis plusieurs années »[1]. Il se trouve que les pays incriminés appartiennent tous à la zone CFA, tout comme une grande partie des pays classés PMA (Pays les Moins Avancés).

Pour ce qui est de l’afflux des IDE, il est motivé par des pays producteurs de ressources minérales, pétrole en tête. « Selon les estimations, il y a eu une baisse des flux totaux d’IED vers l’Afrique, mais en réalité les flux d’IED vers le secteur extractif ont augmenté[2] » A ce titre des pays comme l’Algérie, la Guinée-équatoriale, le Nigeria, le Soudan et le Tchad[3] ont largement bénéficié des investissements de capitaux étrangers, sans pour autant que les populations locales y trouvent un quelconque bénéfice, indépendamment de leur appartenance à la zone CFA. A contrario, le Franc CFA n’est pas plus un obstacle qu’un avantage à l’activité économique. Il peut être un handicap pour les exportations, notamment des productions agricoles, du fait de sa surévaluation, mais il devient un avantage pour les importations de pétrole ou de produits manufacturés venant de l’Occident ou des pays asiatiques.

On prête à la zone CFA des vertus qu’elle n’a pas ou des vices pas plus mérités, notamment que le système CFA favoriserait une plus grande évasion des capitaux. Le Nigeria, dont les flux financiers illicites de puis 1970 s’élève à 89.5 milliards de dollars, est en tête du peloton suivi de l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et de l’Afrique du Sud ; aucun pays ne fait partie de la zone CFA[4]. En fait les arguments pour et contre donnent une importance démesurée à la monnaie qui ne reflète in-fine que l’état réel de l’économie d’un pays ou d’une zone de pays.

SORTIR DE LA ZONE CFA POUR SORTIR DU PACTE COLONIAL

Rien ne peut justifier cette situation exceptionnelle, où un pays (la France) gère la monnaie d’une quinzaine de pays africains, au regard de la situation économique de ces pays qui n’a rien d’exceptionnellement bonne en comparaison des autres pays, toutes choses égales par ailleurs.

Une raison essentielle qui motive la sortie du système du Franc CFA est, paradoxalement et avant tout, une raison politique. C’est l’affirmation que les Etats doivent être maitres de la gestion de leur monnaie car, à travers les Etats, ce sont les populations qui ont ou devraient avoir un droit de regard sur l’administration de leur monnaie et non de quelconques hauts fonctionnaires du Trésor français. La monnaie n’est pas seulement un simple instrument d’échange, elle remplit aussi d’autres fonctions économiques qui permettent d’influer sur le cours réel de l’économie, même si c’est de manière limitée et il n’y a aucune raison pour que ces prérogatives soient déniées aux Etats et aux populations. De plus « (…) la monnaie a une réalité plus sociale qu’économique. Elle permet la régulation des comportements des individus vivant en société. Elle a une fonction collective, celle d’assurer une partie du consensus, mais elle a aussi une fonction sociale individuelle. »[5]

Les récents événements de la Côte d’Ivoire, indépendamment de notre totale opposition avec le régime Gbagbo, montrent que sa chute a été provoquée par l’armée française stationnée dans le pays et par la politique d’asphyxie financière permise par la mainmise de la France sur le Franc CFA.

On peut, sans aucun souci, ne pas être dans la zone Franc CFA tout étant une économie dépendante de l’ancienne puissance coloniale comme la Mauritanie, Madagascar, le Congo Kinshasa etc., mais l’inverse est évidement impossible. Rompre avec le « développement du sous-développement », c’est-à-dire une économie au service des multinationales des pays occidentaux, et maintenant Chinois, nécessite d’être indépendant dans la gestion de sa monnaie.

Au niveau économique, les débats sur le maintien ou la sortie du système du Franc CFA, s’ils ne sont pas accompagnés d’un projet politique qui brise réellement le carcan néocolonial, n’ont pas plus d’intérêt que les débats sur la sortie ou non de l’Euro, pour les pays européens, si in-fine le but est de faire payer la crise du capitalisme aux populations.

Paul Martial

[1] Commission économique pour l’Afrique et Union africaine Rapport économique sur l’Afrique 2011 p39
[2] Ibidem p 33
[3] Ibidem p66
[4] Jeune Afrique numéro 2569 du 4 avril.2010
[5] Michèle Giacobbi & Anne-Marie Gronier in Monnaie Monnaies éditions Le Monde p 26

 

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