Lutte contre Boko Haram. Raoul Sumo Tayo :Boko Haram veut créer et faire fructifier le chaos

Mutations Mercredi le 14 Octobre 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le chercheur en questions de sécurité et de défense revient sur les derniers développements autour de la guerre contre la secte terroriste.

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Comment expliquer ce cycle d’attentats sur le sol camerounais ?

Ce cycle d’attentats s’explique d’abord par l’échec de la guerre de position qu’a longtemps menée la secte contre les positions des forces camerounaises de défense et la destruction de l’essentiel de son potentiel opérationnel à la suite des offensives camerouno-tchado-nigéro-nigérianes. Ces attentats découlent donc du déséquilibre capacitaire en défaveur de Boko Haram qui veut, dès lors, obtenir un effet psychologique, un choc ou la désorientation qui affecte l’initiative, la volonté ou la liberté d’action du Cameroun. Boko Haram veut créer et faire fructifier le chaos en territoire camerounais car il n’est plus en sécurité dans son sanctuaire nigérian. De ce point de vue, on peut dire que ce type d’action terroriste vise à neutraliser l’Etat camerounais, à défaut de le détruire. Boko Haram cherche ainsi  à atteindre la décision en créant et en exploitant une situation de désintégration morale de l’adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu’on veut lui imposer. A terme, ces figures de la postmodernité misent sur le temps long pour faire fructifier le chaos et lasser le Cameroun. Les combattants de Boko Haram  ne cherchent plus seulement à tuer, mais aussi à mourir, même si un examen des cibles et des actions laisse penser à une gamme d’options qu’à des objectifs réels.



Ces attentats récurrents s’expliquent également par le fait que le Cameroun, aux côtés de ses alliés de la sous-région, s’est condamné à la « non limitation temporelle d’action.» Dès le départ, la lutte contre Boko Haram avait été posée en de termes moraux. Souvenez-vous encore de ce Discours du président Biya au corps diplomatique en février dernier : « La réalité est simple. Il y a d’un côté, le nôtre, les tenants d’une société moderne et tolérante, garantissant l’exercice des droits de l’homme, dont ceux de religion, ainsi que la démocratie représentative. De l’autre côté, il y a les partisans d’une société obscurantiste et tyrannique, sans considération aucune pour la dignité humaine. Vous en comprendrez avec moi, il y a une totale incompatibilité entre ces deux modes de société et partant, une totale impossibilité de compromis. Il nous faut donc mettre un terme aux action et agissements des mouvements terroristes. Il nous faut éradiquer Boko Haram. De la suite, nous pourrons rassurer nos populations et mieux nous consacrer au seul combat qui vaille : la lutte contre la pauvreté et pour la dignité de l’homme africain. » Cette criminalisation des adeptes de la secte islamiste créé, sur le plan stratégique, une situation de blocage, allant ainsi à l’encontre de la conception clausewitzienne de la guerre comme une interaction, comme Wechselwirkung. La perception de ce mouvement comme un coupable, plutôt qu’un adversaire avec qui l’on négocie après l’avoir vaincu conduit nécessairement à ce que Clausewitz appelle l’ascension aux extrêmes, le blocage de la guerre dans son processus décisionnel.

Quels autres facteurs peut-on citer ?

La nature du théâtre des opérations et les contraintes qu’elle impose au Cameroun expliquent également cette récurrence des attentats en territoire camerounais Il est, en effet, difficile de surveiller les 412 km de frontières,  de Saguir dans le lac Tchad au Mayo-Oulo qui servent en même temps de ligne de front. La ligne de défense n’est pas un mur du type de la grande muraille de chine. Ceux qui connaissent le terrain savent à quel point il est facile de traverser le frontière Cameroun-Nigeria au niveau des départements du Logone-et-Chari et du Mayo-Sava. L’ennemi peut alors traverser et agir en arrière.

La proximité du Nigeria est un facteur explicatif des attentats récurrents au dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Cette dernière  n’est pas éloignée du centre de gravité de la secte islamiste. Il est facile, d’y planifier et de conduire une attaque terroriste dans les localités frontalières camerounaises. Ces terroristes préparent donc leurs actions au niveau de la zone frontalière nigériane contigüe où Boko Haram dispose encore quelques bases opérationnelles.

La géographie des attaques de la secte terroriste montre cependant qu’à la suite des mesures prises par les responsables des forces de défense et de sécurité et les autorités administratives, les terroristes ont été privés de mobilité en territoire camerounais. Suivant les prescriptions du  colonel Laurence, théoricien et praticien de la guerre insurrectionnelle et s’inspirant des réflexions du général Giap,  les forces des opérations Alpha et Emergence, la police, le gendarmerie et les Comité de vigilance ont réussi à empêcher à ces terroristes d’avoir la mobilité, la sécurité et le temps pour leurs opérations en terre camerounaise, d’où la localisation des attaques au niveau des périphéries nationales, notamment les localités de Kangeleri, Kerawa, Fotokol et les abords de Mora. L’analyse des actions de ces terroristes laisse cependant penser que ces attentats ont été initialement préparés avec des objectifs en profondeur.

Les forces de sécurité et les services de renseignement sont-ils dépassés ?

Non ! Je ne le pense pas. Voyez-vous, l’asymétrie est difficile à cerner. Nous sommes en plein dans ce que Bertrand Badie appelle l’impuissance de la puissance. Dans l’asymétrie, le fait d’avoir une armée performante qui dépasse très largement en capacité et en savoir-faire son adversaire ne constitue pas une garantie de triompher. L’on attend des forces camerounaises de défense et de sécurité un sans-faute pour être considérée comme efficaces, alors que pour Boko Haram,  il suffit d’être efficace une fois. C’est un peu comme un anti-virus informatique qui se doit d’être efficace tout le temps, au risque d’être considéré comme inefficace dès la première brèche. Il s’agit là d’un vieux dilemme de la stratégie : le puissant est obligé, de réussir à tous les coups, le nuisible peut, par un coup d’éclat de temps en temps mettre en échec le puissant.

Toutefois, il faut relever que les forces camerounaises de défense et de sécurité abattent un travail extraordinaire sur le terrain pour identifier et traiter les porteurs de menaces, empêchant ainsi la survenance de nombreux attentats. A titre d’exemple, la gendarmerie nationale joue un rôle de proue, elle qui participe, en temps de paix, à l’élaboration du code de défense opérationnel du territoire, les plans de défense et de protection des points sensibles, des plans d’organisation de défense populaire et d’action psychologiques. A travers son concept de « gendarmerie de proximité », elle mobilise les informations permettant de préparer les opérations coup de poing (rafles, ratissage, etc.) afin d’interpeller les personnes suspectes, permettant ainsi parfois d’identifier et de neutraliser les kamikaze avant qu’ils ne passent à l’action.

Comment les citoyens doivent-ils s’impliquer dans cette guerre ?

Cette tâche est d’autant plus compliquée que de nombreuses localités des abords de la région de l’Extrême-Nord ont été vidées de leurs jeunes valides allés servir dans les rangs de Boko Haram. L’on peut donc logiquement penser que ces recrues pourraient utilisées pour des actions d’éclat en territoire camerounais. Je pense comme ça aux localités du département du Logone et Chari, notamment Hile Alifa, Goulfe, Darack, Bargaram, Kanoura, Tchika,  Moudas,  Gorodo Goudoum, Toumboum Ali et Toumboum Karet qui fournissent l’essentiel du contingent camerounais de Boko Haram.

Toutefois, il est  important que le Cameroun abandonne l’approche traditionnelle de la problématique de la sécurité où le citoyen est comme un client qui est en droit d’attendre de l’Etat qu’il assure sa sécurité. Dans l’approche nouvelle, le citoyen assumerait une part de responsabilité dans sa sécurité. Il faut cependant regretter que la transformation de l’armée, en une armée professionnelle va à l’encontre de ce mouvement d’une plus grande implication des citoyens dans la défense de leur pays.

De plus, les services de renseignement camerounais doivent prendre en compte le changement d’ère politique depuis le 11 septembre 2001 et délaisser peu la surveillance politique et pondérer leurs missions de contre-espionnage.

 Enfin, dans le cadre d’une guerre irrégulière, il est important de définir des objectifs initiaux relatifs et non absolus. Cette modélisation dans la définition des objectifs a pour finalité d’éviter une guerre prolongée et ruineuse car, comme le dit  Sun Tzu : « remporter cent victoires en cent combats n’est pas ce qu’il y a de mieux. Le mieux, c’est de soumettre l’ennemi sans combattre ».

Comment endiguer la spirale d’attentats qui frappe le pays ?

A court terme, le pays doit véritablement prendre en compte le changement de mode opératoire des terroristes de Boko Haram. Sun Tzu prescrit la souplesse qui consiste à s’adapter aux circonstances. Dans le 5e livre de L’art de la Guerre, il relève que le bon général est celui qui maîtrise l’art des pleins et des vides. Pour lui, l’armée est comme l’eau qui ruisselle, s’insinue dans les interstices, contourne les pierres, les cailloux, les obstacles pour atteindre son but, submerger et prendre le dessus sur l’ennemi. Les forces armées, qui, indiscutablement, ont gagné la première phase de la guerre contre cette secte islamiste, doivent dorénavant s’investir dans les opérations de maintien de la paix. Les forces de 1er et de 2e catégories doivent être formées aux techniques de détection des personnes suspectes. Des procédures doivent être affinées dans les check-point, pour éviter qu’à terme plus de policiers ne soient tués.

L’une des mesures devrait consister en la formation du personnel des forces de défense et de sécurité à l’identification et à la neutralisation des kamikazes avant qu’ils ne passent à l’action. En l’état actuel, les forces de police et de gendarmerie ne disposent pas toujours des moyens de détection et misent sur le flair et/ou la chance. Le Cameroun devrait donc acquérir du matériel de détection, notamment les détecteurs électromagnétiques qui permettent d’identifier le porteur d’une charge explosive et à empêcher qu’il n’active son colis. Pour accroitre la mobilité des forces face à l’usage d’engins explosifs improvisés, le Cameroun devrait acquérir d’avantage de véhicules blindés. De plus, les soldats devraient être dotés de détecteurs individuels, rien à voir avec les détecteurs de métaux qui, me semble-t-il, n’ont qu’un effet dissuasif et sont inutiles face aux TNT. De plus, l’on devrait multiplier les check point à l’intérieur et  renforcer le renseignement pour démanteler les cellules dormantes de Boko Haram.

L’accès au renseignement est capital dans cette guerre !

Des moyens accrus devraient être consacrés au renseignement, notamment en faveur des autorités administratives, traditionnelles, des services techniques compétents. Le renseignement est, en effet,  le vecteur le plus efficace de la lutte contre ces menaces nouvelles dont sont porteurs les combattant de Boko Haram. Il est un multiplicateur des forces qui peut décourager, voire contrôler une menace.

Le Cameroun devrait investir encore plus dans l’anticipation car, comme le relève François de Jouvenel, « la nature de nos anticipations est donc un élément structurant de nos prises de décision. Et la valeur de nos anticipations est un élément clé du succès de nos stratégies ». Pour prévenir la surprise stratégique, face à une menace toujours fuyante, les services de renseignement devraient également se départir de l’héritage de la lutte contre la subversion. Les contrôles de police et de gendarmerie devront être plus rigoureux. La construction de la conscience collective du danger devrait aboutir à la sensibilisation des populations sur les colis et mouvements suspects.

Il est aussi temps que, plus hier, les réseaux de renseignement des autorités traditionnelles soient mis à la disposition de l’Etat. Leur rôle est forcément important au niveau des périphéries nationales où la présence de l’Etat est très souvent réduite à sa plus simple expression, pour ne pas dire nulle. L’Etat devrait capitaliser cet état des choses pour mieux lutter contre Boko Haram. Les milices privées des lamibé et les Djaouro/Lawane/Blama ont été mises à contribution dans la surveillance des périphéries nationales. Ces structures ont montré par le passé leur efficacité dans la lutte contre le phénomène des « coupeurs de route ».

En plus des initiatives militaires (acquisition des armes adaptés, formation renseignement, etc.), le pays se doit de lutter contre les racines du mal, notamment la pauvreté, l’illettrisme, les injustices. La défense se doit de devenir globale, je veux dire, au-delà de la théâtralisation actuelle.  Il est urgent de prendre beaucoup d’autres mesures que je ne saurais citer ici.

Propos recueillis par G.A.B

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