Cameroun - Energie. Pr Roger Tsafack Nanfosso: « 74% des subventions au super sont captées par les riches »

ESSAMA ESSOMBA | Cameroon Tribune Vendredi le 20 Juillet 2012 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Selon le Pr Roger Tsafack Nanfosso, professeur agrégé d’Economie, si la subvention n’atteint pas ses objectifs et si les populations-cibles n’en profitent pas, il est du devoir des autorités de se poser la question de son efficacité.

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Professeur, un vif débat d’actualité anime l’opinion nationale. Il porte sur le poids des subventions de l’Etat pour maintenir bas les prix de certains produits, évitant ainsi la réalité des prix qui seraient alors élevés. Il y a des positions en faveur des subventions, d’autres sont pour leur suppression. Quelle appréciation portez-vous sur ce débat ?

Ce débat me semble sain et illustratif de la vitalité du citoyen camerounais qui se sent concerné et interpellé par la décision publique explicite ou implicite. C’est aussi un débat utile parce qu’il met en évidence des préoccupations exigeantes sur le plan des réponses et explications à fournir. Mais ce n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un débat nouveau ni camerouno-camerounais, puisqu’il s’agit d’un problème ancien et discuté dans de nombreux pays développés comme en développement, à savoir celui du soutien de l’Etat à certaines activités économiques. La subvention est, en effet, un transfert en fonds réels octroyés par les pouvoirs publics à des entités qui ne le sont pas en principe. Ce principe peut être assoupli lorsqu’il s’agit de venir en aide à des secteurs dits « stratégiques » (recherche, transport) ou « sensibles » (éducation, santé, alimentation), à des entreprises emblématiques (Camair-co par exemple), ou à des activités importantes et nécessaires mais à la rentabilité difficile (culture, etc.). Le principe est essentiellement porté par la volonté de mettre en œuvre une mission de service public car derrière les subventions se profile l’idée de l’intérêt général, et donc de l’accès de toutes les couches de population au bien-être. Le problème posé n’est donc pas celui d’être pour ou contre la subvention, mais plutôt de questionner son ampleur, son rôle économique et son efficacité dans un environnement fortement contraint par les arbitrages financiers.

Dans la situation évoquée, les subventions aux produits pétroliers, sont les plus lourdes. Les services compétents avancent le chiffre global de 1089 milliards Fcfa pour les cinq dernières années. A votre avis, jusqu’où peut aller l’Etat ?

L’Etat appuie sans le dire les nombreux secteurs que j’ai évoqués ci-dessus, mais l’ampleur des subventions au secteur pétrolier est aujourd’hui le cœur du problème. Le chiffre de 1089 milliards Fcfa est effectivement avancé, avec si je ne m’abuse une évolution de l’ordre de 145 milliards en 2010, 323 milliards en 2011 et 400 milliards prévus en 2012. Dans ce contexte, trois problèmes peuvent être soulevés pour nourrir la discussion. (i) Le premier a trait au rôle de la subvention. En effet, cet appui provient des impôts collectés par les pouvoirs publics pour assurer entre autres, un financement adéquat de l’économie nationale. Or, le pétrole représente bon an mal an 40% des importations camerounaises, autrement dit, nous subventionnons un produit qui est essentiellement importé ; ce qui pose la question d’un usage meilleur des montants engagés. (ii) Le deuxième problème est celui de la cible de la subvention. En effet, l’objectif recherché par ces subventions, notamment depuis 2008 était de résoudre un problème de vie chère surtout pour les populations pauvres et/ou défavorisées. Or il y a des études de plus en plus disponibles qui montrent que 70% des subventions au carburant Super étaient captées par les 40% des revenus les plus élevés, et que les 20% des revenus les plus faibles ne tiraient même pas 1% de ces montants. Les pauvres bénéficiaient de 13% des subventions sur le pétrole lampant, ce qui n’est guère brillant. Plus récemment, une étude dont on a beaucoup parlé a montré qu’on est maintenant à 74% des subventions captées par les riches sur le Super. Il y a même une troisième étude qui estime que le quintile (20%) de population le plus riche profite de près de 80% des avantages tirés du gel des prix des carburants tout simplement parce que les ménages riches consomment plus de produits pétroliers que les ménages pauvres. Autrement dit en somme, ce ne sont malheureusement pas les pauvres, qui étaient pourtant la population cible de cette idée généreuse, qui bénéficient des subventions. La réflexion sur la qualité de la dépense subventionnée est posée. (iii) Le troisième problème est celui du coût d’opportunité de la subvention. En effet, il faut savoir que la subvention représente 14% du budget et 60% de la masse salariale de l’Etat ; ce qui est très important. Le montant de 400 milliards prévus pour 2012 aurait financé deux barrages de Lom-Pangar (j’ai lu que le coût est de 200 milliards), presque deux autoroutes Yaoundé-Douala (j’ai lu que le coût est de l’ordre de 250 milliards), quasiment tout le programme ferroviaire national (1600 km de rail à l’horizon 2040), presque 500 km de routes bitumées, etc. La conclusion est que si la subvention n’atteint pas ses objectifs et si les populations cibles n’en profitent pas, il est du devoir des autorités de se poser la question de son efficacité dans le cadre d’un débat franc, apaisé, aiguillonné par des études rigoureuses, et mettant ensemble toutes les parties prenantes (syndicats, agriculteurs, pouvoirs publics, chercheurs, entreprises du secteur, etc.)

Le Cameroun est un pays producteur de pétrole, modeste certes. S’agissant des investissements dans ce secteur, à votre avis quels types d’actions l’Etat peut entreprendre pour stabiliser le marché local mais aussi créer une plus value ?

Le Cameroun est non seulement un modeste producteur de pétrole (autour de 60.000 barils par jour contre 230.000 au Gabon) mais en plus d’un pétrole qualifié de « lourd » par les spécialistes, et la technologie nécessaire pour amener ce pétrole du forage à nos véhicules n’est pas celle qui est installée à la SONARA, usine davantage équipée pour des pétroles dits « légers ». La conséquence est que bien qu’étant producteur de pétrole, nous sommes obligés d’en importer (notamment du Nigeria et de Guinée Equatoriale) pour notre consommation locale après raffinage dans le pays. Réjouissons-nous d’avoir la SONARA parce que les pays qui n’ont pas de raffinerie expérimentent généralement un pétrole beaucoup plus cher. Les investissements en cours dans ce secteur sont, par conséquent, les bienvenus, puisqu’ils concernent me semble t-il l’outil de production aussi bien en quantité (la demande nationale est croissante) qu’en qualité. On devrait donc à terme pourvoir raffiner le pétrole de type camerounais. Au-delà, les démarches entreprises ces dernières années par la SNH pour redynamiser l’activité de forage et de recherche de nouveaux gisements semblent porteuses d’espoir. Enfin, la stabilisation du marché me semble bien assurée par la CSPH qui, au-delà du mécanisme de péréquation qui permet d’avoir un prix identique au bord du Wouri comme au bord du Lac Tchad, entreprend des actions qui pourraient sembler hors de son mandat, à l’instar de la construction des stations-service, des dessertes et autres routes rurales, etc. afin que le pétrole et le gaz parviennent aux populations cibles.

Le niveau des infrastructures de production du pétrole camerounais est-il compatible avec les ambitions d’un pays qui veut vraiment rentabiliser sa production ? Sinon, que faire ?

La compatibilité des infrastructures peut toujours être adaptée, et il me semble que les entreprises du secteur (SNH, SONARA, SCDP, CSPH notamment) ressentent bien l’interpellation qui leur est adressée depuis une dizaine d’années avec la complexité des défis résultant de l’évolution des prix internationaux de ce produit et des fluctuations de la monnaie de référence qu’est le dollars US. Le différentiel important (centaines de milliards) qui existe entre les montants reçus par l’Etat de la SNH et les subventions versées au secteur soulignent l’urgente nécessité de cette adaptation.


Les subventions peuvent-elles concerner les pays limitrophes du Cameroun ?

Il faut savoir que les subventions servies au Cameroun sont aujourd’hui les plus élevées de la région CEMAC. Elles sont estimées autour de 2,6% du PIB dans notre pays contre 2,3% au Congo, 1,9% au Tchad, 1,6% en Guinée Equatoriale, 1,3% en RCA (qui n’est pourtant pas producteur de pétrole) et 0,8% au Gabon. Les raisons d’une telle situation ne sont pas toujours à chercher du côté de notre démographie. Par ailleurs, il faut d’autant plus se méfier des subventions que nous vivons dans un espace mondial et donc régional ouvert. Si le pétrole venait à être moins cher au Cameroun que dans les pays voisins, ce ne sont plus seulement les Camerounais qui seraient subventionnés mais tous les pays qui routeraient de fait leur demande de carburant vers notre pays afin de profiter de l’aubaine.


 

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