Cameroun - Livre. Philosophie : Gaston-Paul Effa sur les traces de l’animisme pygmée

Séverine Kodjo-Grandvaux | Jeune Afrique Jeudi le 03 Mars 2016 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le dernier livre de Gaston-Paul Effa n'est ni un ouvrage anthropologique ni un traité sur l'animisme. Mais le récit de sa rencontre avec une femme pygmée réputée pour sa sagesse, dont les leçons s'adressent à tous.

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Le romancier et philosophe camerounais Gaston-Paul Effa cultive les paradoxes avec élégance et efficience. Fils de féticheur, confié à des religieuses alsaciennes installées au Cameroun qui l’envoyèrent poursuivre ses études à Strasbourg pour devenir prêtre, Gaston-Paul Effa finit par choisir la voie de la raison et devint professeur de philosophie. Très tôt au contact de différentes cultures et manières d’appréhender le monde, il s’engagea dans une « quête intérieure », cherchant comment faire un avec le multiple qui le compose.

« Comment oublier que je participe de deux cultures, suffisamment différentes pour m’écarteler littéralement ; pour me féconder aussi, si je parviens à me tenir aux meilleures parts de l’une comme de l’autre. Comment nouer les deux bouts sans perdre l’une ou l’autre part de cet héritage ? » s’interroge-til dans son dernier livre, Le Dieu perdu dans l’herbe. Une préoccupation que l’on retrouve dans toute son œuvre, marquée par le déplacement et le déracinement qui l’ont conduit à questionner les rapports que les migrants peuvent entretenir avec leurs origines, à trouver comment concilier la tradition et les exigences d’une certaine modernité, les devoirs de la vie en communauté et les aspirations à l’émancipation individuelle…

Cette « quête intérieure » s’est transformée littéralement en un cheminement singulier, l’amenant à se confronter à sa propre « angoisse du retour au pays natal » lorsque celui qui est né à Yaoundé en 1965 décida de partir à la rencontre de Tala, une femme pygmée réputée pour sa sagesse. Lors de leurs nombreux échanges, elle lui offrit de lui apprendre à vivre autrement, en communion avec la nature qui l’entoure, loin du tumulte de la vie urbaine et des leurres de la raison.

    Il faut « penser sans raisonner », renouer avec son corps et son cœur pour apprendre à vivre

Le Dieu perdu dans l’herbe n’est ni un récit anthropologique ni un traité sur l’animisme. Gaston-Paul Effa nous prévient : « Peut-être faut-il se détourner du préjugé concernant l’animisme qui le cantonne à une religion archaïque, ou encore à l’idolâtrie. Il faut accepter de le penser comme une façon de philosopher autrement, comme un retour aux sources, à la condition de toutes les conditions, en même temps que l’horizon de toutes les aspirations : vivre… » Cet opuscule est le récit de ces leçons, brèves et modestes, où la voix de Tala et celle de Gaston-Paul Effa finissent parfois par se confondre ; nous invitant à repenser notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes. Et où finalement Effa renoue avec la philosophie telle qu’elle se concevait sous l’Antiquité grecque, comme une manière de vivre, bien avant qu’elle se transforme en une pensée systémique et se retire au sein des universités.



Tala invite le penseur camerounais à se défaire de la raison. Arrogante, cette dernière prétend tout expliquer, y compris Dieu. Elle a fait croire à l’homme qu’il pouvait devenir « maître et possesseur » de la nature. Il faut, au contraire, « penser sans raisonner », renouer avec son corps et son cœur. « Arrête donc de réfléchir. Vis », conseille celle qui fait montre d’une connaissance incommensurable de la nature, des corps et des esprits. Avant d’ajouter à celui qui a consacré sa vie à la philosophie et à la raison : « Il faut d’abord que tu acceptes de mourir à la raison pour renaître tout entier aux choses et aux êtres. » Et à ceux qui, absorbés par le rythme effréné du quotidien, en oublient l’essentiel : « Vous gagneriez à renouer avec le monde, à ne plus courir après la mode, les spectacles, les réussites sociales, les avoirs, pour apprendre enfin à vivre. Simplement à vivre. Ce retour à la nature n’est pas un renoncement ni un appauvrissement mais un approfondissement de ce que vous êtes, de ce que vous faites. »

Et comme le lauréat du Grand Prix littéraire de l’Afrique noire 1998 (Mâ, éd. Grasset) sait plus que tout écrire, il consacre un ouvrage à une femme qui ne cesse de lui répéter de se méfier des livres, car ils « nous détournent du monde ». Un paradoxe qui profitera à qui saura lire l’esprit ouvert et curieux.



Le dieu perdu dans l’herbe. L’animisme, une philosophie africaine, de Gaston-Paul Effa, éd. Presses du Châtelet, 192 pages, 17,95 euros.

 
 

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