International. Paul Fokam Kanmogne met en garde contre les nouvelles flatteries de l'Occident

AGA News Vendredi le 03 Mai 2013 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Auteur de « Quelle Afrique à l’horizon 2050?» paru le mois dernier aux Editions Afredit à Yaoundé, l’enseignant de stratégie et de leadership démasque les biais du nouveau discours de l’Occident sur l’Afrique dans une interview au journal Les Afriques édition n°241 du 25 avril au 2 mai.

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Changement de discours

 

Le discours de l’Occident au sujet de l’Afrique change. Naguère marqué par la commisération et le catastrophisme, le regard que jette l’Occident sur l’Afrique devient subitement bienveillant et flatteur. Cela se voit à travers des livres et des éditions spéciales de magazines qui présentent le continent sous ses plus beaux jours. Il n’y a qu’à jeter un regard sur les titres de ces hagiographies. Publiées depuis 2010 en France, elles s’évertuent à dire du bien de l’Afrique : Le Temps de l’Afrique de Jean-Michel Severino et Olivier Ray ; L'Afrique va bien de Matthias Leridon ; L'Afrique en face de Vincent Hugeux ; Envoûtante Afrique d’Hélène Marche ; L’Afrique n’attend pas d’Hervé Bourges ou encore L'Afrique - Un continent en réserve de développement de Sylvie Brunel. La liste de ces déclarations d’amour est loin d’être exhaustive.

 

Les grands media ne sont pas en reste. C’est la revue Manière de voir du Monde diplomatique, qui dans son édition n° 108 (Décembre 2009 - janvier 2010) traçait les sillons de ce discours enjôleur, en désignant l’Afrique comme le centre du monde, « un élément indispensable du jeu mondial de l’après-guerre froide ». En août 2012, Jeune Afrique titrait à la une de son édition double n°2692-2693 : « L'Afrique idéale ». En août ? Mais c’est justement au cours de ce mois que l’édition n° 2082 de l’hebdomadaire français Le Point déclarait pompeusement : « l’Afrique n’est pas celle que vous croyez », annonçant des révélations encourageantes sur les réussites, les élites et les promesses du continent. Ce que faisait aussi la revue GEO dans son édition n°403, parue le 29 août 2012 : « Le réveil d’un continent ». Last but not the least, le numéro spécial du Courrier International en kiosque affiche en grande Une « Afrique 3.0 », en référence à la nouvelle dynamique de l’Afrique qui succède à l’Afrique 1.0 (l’Afrique colonisée) et l’Afrique 2.0 (l’Afrique post-coloniale)…

 

En tant qu’enseignant de stratégie et de leadership à la PKFokam Institut of Excellence, Paul K. Fokam, regarde cette inflation de bienveillance avec beaucoup d’amusement, lui qui vient de publier un nouvel ouvrage intitulé Quelle Afrique à l’horizon 2050 ? Ce visionnaire qui n’a jamais cessé de dire ce qu’il faut à l’Afrique pour sortir de la pauvreté, défend aux Africains de « consommer cette littérature soudainement bienveillante sans s’interroger sur ses ressorts idéologiques à la limite du pernicieux. » Pour lui, on n’assiste pas à une révolution, mais à un repositionnement éditorial.

 

Interview

 

On ne compte plus les livres flatteurs qui paraissent sur l’Afrique. Pourquoi ce continent intéresse-t-il tant les chercheurs ?

 

Nous vivons dans un monde plat. Il n’est interdit à personne de s’intéresser à l’Afrique. Ce qui est intéressant, c’est de savoir ce que disent ces livres et qui sont ceux qui les écrivent. Je constate et je déplore que ces livres, pour la plupart, sont le fait de gens qui parlent à partir d’un prisme, d’un biais. Ils manipulent des arguments approximatifs, voire contre-véridiques qui peuvent se révéler nuisibles pour l’Afrique si les Africains venaient à manquer de vigilance.

 

A quoi faites-vous allusion ?

 

Un seul exemple : vous lirez dans cette littérature florissante que le développement de l’Afrique passe par les infrastructures, le raccordement de la fibre optique, etc. Ce qui est vrai, mais insuffisant. Aucun de ces livres ne vous dira que l’Afrique a besoin de retrouver la confiance en soi. Pensez-vous que le développement soit compatible avec complexe d’infériorité ? Je ne crois pas. Vous aurez beau construire des ponts reliant Le Cap et Le Caire, vous raccorder à la fibre optique, vous approprier la technologie 3G, mais si vous continuez de mendier l’aide extérieure, si vous laissez votre sort entre les mains de conseillers techniques affectés par les anciennes puissances coloniales, vous tournerez en rond.

 

Le discours contenu dans ces livres et éditions spéciales de journaux consiste à soutenir que l’Afrique est l’avenir de l’humanité. Pourquoi cet optimiste soudain ?

 

Regardez bien le point de départ de cette littérature, c’est quand le Fnuap a affirmé en 2009 que la population africaine a atteint le cap du milliard et qu’en 2050, il y aurait 2 milliards d’âmes sur le continent et qu’un terrien sur 7 serait Africain. C’est à partir de ce moment-là que les convoitises se sont aiguisées. La population africaine est jeune et constitue une force. C’est également un marché qui s’adresse à l’entreprise. Il est normal que les uns et les autres s’intéressent à l’Afrique. Mais attention, tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. La fable de La Fontaine nous dit que le renard a tant loué la voix du corbeau que celui-ci a ouvert son bec pour chanter. Ce faisant, le corbeau a perdu son fromage. Et le renard s’en est emparé.

 

Etes-vous en train de dire que le fait de ressasser que l’Afrique est sur la bonne voie, c’est au fond une manière d’endormir les Africains ?

 

Oui, mais comme vous le savez, on ne peut endormir que ceux qui acceptent de dormir en plein jour. Si vous avez conscience que les relations entre les peuples se résume à une forme de compétition, vous maintiendrez un état de veille permanente et développerez une véritable intelligence économique pour comprendre voire devancer la pensée de l’autre. A défaut de développer l’intelligence économique, les Africains ne devraient pas consommer cette littérature soudainement bienveillante sans s’interroger sur ses ressorts idéologiques à la limite du pernicieux. Quand je lis dans un des livres auquel vous faites allusion que si l’Afrique va bien, c’est grâce à l’aide au développement, je tombe des nues. Aucun pays au monde ne s’est développé grâce à l’aide. En Afrique, l’aide s’est révélée fatale au cours de ces 50 dernières années et ça tout le monde le sait.

« Gardez-moi de mes amis. Mes ennemis je m'en charge ». L'adage, communément attribué depuis des temps immémoriaux à la prière du fou en Afrique vaut-il aussi pour l'Afrique d’aujourd’hui ?


 

Cela est vrai dans le sens où le ton de cette littérature peut être perçu comme paternaliste, car elle vient en quelque sorte consoler les Africains en leur disant : écoutez, vous êtes inquiets pour votre avenir. Mais vous avez tort, voici les raisons de ne pas l’être, etc. Cela peut donc justifier de nouveaux programmes d’aide à l’Afrique. Or, nous savons que l’aide permanente est généralement imbibée d’une dose de somnifère permettant d’exploiter et d’endormir ceux qui la reçoivent.

 

L’un des arguments avancés par cette littérature, c’est le taux de croissance de l’Afrique, qui est supérieur à celui de l’UE ou des Etats-Unis. N’est-ce pas bon signe ?

 

Vous parlez certainement de la croissance nominale. La croissance nominale est un leurre. C’est le taux de croissance réel qu’il faut voir. Vous savez bien que le taux de croissance réel en Afrique est négatif, dès lors que l’on tient compte de la croissance démographique et de l’inflation. En Occident, le taux de croissance qui sert de base aux analyses est le taux de croissance réel. Vous voyez donc que les agrégats de la comparaison ne sont pas les mêmes. Voilà pourquoi je parle de leurre.

 

Dans leurs éditions spéciales sur l’Afrique, des journaux énumèrent les grands projets infrastructurels et y trouvent la bouée de sauvetage du continent. Etes-vous d’accord qu’il n’y a pas de prospérité sans infrastructures ?


 

Je suis plutôt d’accord que les infrastructures accompagnent la prospérité. Mais pour que les infrastructures soient rentables, il faut une lueur de prospérité. Il faut donc une volonté à tous les niveaux de création de richesses qui commence parla formation des techniciens capables d’accompagner la production de la richesse.

 

Votre nouveau livre intitulé « Quelle Afrique à l’horizon 2050? » est une analyse prospective. En le lisant, on l’impression que vous êtes afro-optimiste vous aussi.

 

Je n’aime pas les termes afro-optimiste et afro-pessimiste. Pour moi, ils signifient que vous vous levez un matin et vous débitez n’importe quoi sur l’Afrique. Quand c’est positif, on dit que c’est de l’afro-optimisme. Quand c’est négatif, on dit que c’est de l’afro-pessimisme. C’est tellement absurde que, voyez-vous, les mêmes qui hier disaient que l’Afrique est mal partie soutiennent aujourd’hui que l’Afrique est l’avenir du monde. L’afro-pessimisme c’est de la caricature, l’afro-optimisme aussi. Ça n’a rien à voir avec la réalité.

Ceux qui me lisent depuis 1993, date de la parution de mon premier livre intitulé L’Entrepreneur africain face au défi d’exister savent que je peins toujours la réalité, de façon froide, sans parti pris. Ils savent que je prescris des solutions audacieuses, en étroite relation avec ma vision. Tous mes livres, articles et autres conférences insistent sur cette vision : redonner leur dignité à l’Afrique et aux Africains. Je persiste et je signe : il faut à tout prix décomplexer les Africains. L’Afrique ne connaîtra la prospérité que lorsque ses fils et filles cesseront de mendier l’aide au développement et de mimer l’Occident.

 

A la page 120, vous écrivez : « Les Africains sont nombreux à ne plus croire à l’avenir, mais ils ont tort ». N’est-ce pas de l’afro-optimisme ?


 

Si vous lisez uniquement ce passage, vous aurez raison, c’est de l’optimisme – Je préfère dire l’optimisme et non l’afro-optimisme D’ailleurs, si vous prenez la conclusion, vous aurez aussi raison, puisque la conclusion est intitulée « Vers une Afrique où il fait bon vivre ». N’oubliez pas non plus que le sous-titre est encore plus révélateur de mon optimisme : « Un espace transformé en îlot de prospérité ». Tout cela, c’est de l’optimisme. Mais si vous lisez ce que je dis par ailleurs, par exemple quand je critique le mimétisme, l’endettement effréné, les Accords de partenariat économique et les conseillers techniques imposés, vous pouvez tout à fait conclure à l’inverse. C’est pourquoi je souhaite qu’on recentre les débats : l’enjeu n’est pas d’être afro-optimiste ou pas, mais de dire ce qu’il faut à l’Afrique pour passer de la condition actuelle de terre de misère à celle d’un continent où il fait bon vivre. C’est pour répondre à cette question que j’ai émis une vision que je développe depuis tant d’années dans mes livres et conférences de part le monde entier. Si l’Afrique applique les secrets que je préconise, alors le développement suivra, il n’y a aucun doute à cela.

 

Dans ce livre, vous parlez de la trithérapie salvatrice. A quoi faites-vous allusion ?

 

Oui, l’Afrique a besoin d’une trithérapie : le travail, la confiance en soi et le savoir. Voilà les sources de création de la prospérité. J’y ajoute la persévérance, parce qu’il est important de comprendre que la prospérité vient au bout d’un long processus et que nous devons être patients et rester fidèles à nos objectifs.

 

Si tant est que des objectifs ont été fixés. Pensez-vous que les Africains se fixent des objectifs ?

 

En 2005, j’ai écrit dans Misère galopante au Sud complicité du Nord qu’il faut que les Africains se fixent des objectifs et y restent fidèles. Certains vous diront qu’ils se sont fixé des objectifs. Mais peut-être qu’il faudra déjà que l’on s’entende sur la notion d’objectif. Un objectif est mesurable, concret, réaliste et inscrit dans le temps. A partir des quatre caractéristiques de l’objectif, tels que voilà, vous pouvez dire si ce sont des objectifs, des slogans, des ambitions ou des rêves.

 

On sent de la colère dans ce livre. Etes-vous impatient et désespéré ?

 

De l’impatience, non. De la colère, oui. Je suis en colère et le ton que j’emploie est parfois emporté, parce que depuis 20 ans, je dis des choses simples et claires, mais avec l’impression que je prêche au désert. On ne peut rien construire si on n’a pas une vision. Mais je ne désespère pas, j’ai dit tantôt que la persévérance est nécessaire à l’Afrique. Le combat pour la prospérité est long et la victoire ne viendra pas tout de suite. Les Africains de bonne volonté qui se battent pour l’avènement de la prospérité en Afrique devront savoir qu’ils affronteront des vents contraires et que rien ne leur sera donné.

 

Qu’est-ce qui justifie cette tendance, dans vos livres, à vous référer régulièrement à vos expériences personnelles sur le champ économique ?

 

Cela se justifie par la conception que j’ai de l’intellectuel. L’intellectuel ne devrait pas se contenter d’écrire, il doit travailler à transformer son environnement. Ses livres et ses conférences sont importants pour éveiller les consciences. Mais ses actes visibles, concrets, parlent aussi pour lui, puisqu’ils transforment son environnement. J’appelle cela la recherche-action. La plupart des développements théoriques que je fais dans mes livres sont appuyés par des expériences que je conduis sur le terrain, en ma qualité de capitaine d’industrie. Celui qui se contente de parler n’est pas un intellectuel, c’est un talkative, comme diraient les Anglophones. Je ne trouve pas le mot exact en français pour exprimer cette idée d’une personne qui parle pendant que la caravane passe.

 

Dans le chapitre sur les potentialités de l’Afrique, vous consacrez 80 pages à l’agriculture. Est-ce à dire que l’avenir de l’Afrique passe par l’agriculture ?

 

L’agriculture est une niche comme les autres, les TIC, le tourisme, l’épargne, l’exploitation des richesses du sous-sol, etc. Le fait que j’accorde 80 pages à l’agriculture ne veut pas dire que les autres niches sont moins importantes, non. Ces niches sont complémentaires. Et chaque pays africain devrait mettre l’accent sur les unes ou sur les autres en fonction de ses potentialités naturelles spécifiques. L’avenir de l’Afrique passe par l’agriculture, oui, mais aussi par le tourisme, les TIC, etc.

 

Vous avez habitué vos lecteurs à des analyses prescriptives qui disaient : « Faisons ceci, ne faisons pas cela ». Avec ce livre, vous faites non seulement de la prescription, mais aussi de la prospective et vous parlez de l’Afrique dans 40 ans. Sur quoi reposez-vous le choix de parler de l’avenir ?

 

J’ai constaté que les politiciens et les économistes ont une vue limitée dans le temps. Le spectre de leurs planifications dépasse rarement 5 ans et cela se comprend parce que les uns se projettent en fonction des échéances électorales et les autres en fonction des plans quinquennaux. J’ai voulu, par cette analyse, aller au-delà de la dictature de l’urgence pour une fois, en me projetant dans un monde que je ne connaîtrai probablement pas, étant donné que, d’une part, l’espérance de vie au monde est de 80 ans dans le monde et de 54 ans seulement en Afrique et que, d’autre part, j’ai déjà vécu plus d’un demi-siècle. L’Afrique est un continent de la misère aujourd’hui, j’en conviens ; les faits sont têtus. Mais ce ne sera pas toujours le cas, du moins si nous décidons d’en faire a place to be, a place to visit, comme le disent les Anglo-saxons. Nous pouvons poser les bases d’un avenir radieux dès maintenant et envisager 2050 sous de meilleurs auspices. J’ai foi en l’avenir et j’espère que nos fils et nos arrière-petits enfants pourront bénéficier des actes que nous posons aujourd’hui. Au regard de cela, j’invite les Africains à poser des actes responsables. Car leurs actes scellent le destin de leurs progénitures. Je les invite une fois de plus à se doter de confiance en soi, à travailler beaucoup, d’arrache-pied, patiemment et avec persévérance pour produire la richesse et à se mettre à l’école tous les jours. Tomorrow is another day.

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