Cameroun - Politique. Paul Biya abandonne ses résidences

Le Jour Vendredi le 30 Mars 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Patrimoine. Reportage à Douala, Bertoua, Bamenda, Ebolowa et Nagoundéré.

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Nous sommes dans la nuit du 1er octobre 2011. L’avion ayant à son bord le président Biya en provenance d’Abuja où il vient d’assister au cinquantenaire de la République fédérale du Nigeria, atterrit en urgence à l’aéroport international de Douala.
Il n’y a pas de doute. Le chef de l’Etat va passer la nuit dans la capitale économique. Mais où alors ? Une équipe de la sécurité présidentielle est dépêchée au quartier Bonanjo, pour procéder aux vérifications d’usage à la résidence présidentielle. Ces émissaires y font une découverte pour le moins spectaculaire : il y a de la moisissure partout, du mobilier a disparu, il y a des fissures au sol et sur les murs. Sur ces entrefaites, Paul Biya doit prendre la route la nuit. Il n’a de résidence à Douala que de nom.
 
C’est à l’occasion de la pose de la première pierre des travaux du port en eaux profondes de Kribi que le président Biya aurait en réalité apprécié ses « palais ». Du moins, il y a séjourné à deux reprises. Chose du reste inimaginable quelques semaines auparavant. En effet, les visites du chef de l’Etat à l’intérieur du pays sont rares. Et le reflexe sécuritaire est allé grandissant, après les chaudes épreuves du début de son règne, marquées notamment par la tentative de coup d’Etat de 1984. « Pourtant, 100 millions de francs Cfa sont débloqués chaque année pour l’entretien des résidences présidentielles par le cabinet civil de la présidence de la République », témoigne un responsable de la sécurité. Ce dernier rappelle en outre l’épisode du palais de Garoua dont une partie du mobilier avait été emportée du temps où un certain Mounchipou Séidou était gouverneur de la province du Nord.
 
Il fut pourtant une époque où les résidences présidentielles étaient bien fréquentées. Sous l’ère Ahidjo. Le tout premier président de la République du Cameroun y séjournait régulièrement. C’est d’ailleurs pour diminuer les coûts de ses séjours à l’intérieur du pays ainsi que ceux de l’hébergement de certains hôtes de marque que l’idée de ces résidences lui est venue. « Le président Ahidjo séjournait non seulement dans les résidences présidentielles, mais aussi chez certains patriarches à Douala », témoigne un officier supérieur de l’armée à la retraite. Il cite des séjours d’Ahidjo en son palais de Bonanjo, avec des visites, la nuit tombée, chez Tanko Hassan ou encore chez Tanko Ahmadou à Bonabéri.
 
Denis Nkwebo
 

Douala, sécurité renforcée
 
Assis dans la guérite à l’entrée de la résidence présidentielle à Bonanjo, un gendarme en faction devise avec un homme en civil. Vu de l’extérieur, le bâtiment à étage donne l’impression d’une résidence habitée. Ce qui n’est pas le cas, puisque la dernière visite du chef de l’Etat remonte à octobre 2011. Paul Biya séjournait alors à Douala, dans le cadre de la campagne pour l’élection du 9 octobre 2011. « Il y a tous les services à l’intérieur, mais la sécurité est le seul service qui travaille en permanence. Le service traiteur travaille dans l’ombre et on voit généralement ses agents à l’œuvre quand il y a des étrangers ou un événement », affirme une source.
 
Depuis octobre 2011, le palais affiche fière allure. Des haies semées de gazon vert tondu jalonnent la grande cour. L’entretien des pelouses semble récent. Les murs de couleur blanche ont été repeints. Tout comme la longue clôture qui entoure le palais. Des caméras de sécurité ont été installées. Elles ne sont pas visibles de l’extérieur. «De l’intérieur, on voit tout ce qui se passe dehors. Ces caméras ne sont pas visibles de l’extérieur pour des raisons de discrétion. C’est pour cette raison aussi qu’il n’y a pas de plaque indicative », affirme un habitué des lieux. De géants arbres ombrageux sont plantés à l’intérieur du palais et le long de la façade gauche. L’histoire raconte que Rudolph Duala Manga Bell a été pendu à un jet de pierre de ce palais, non loin du site abritant actuellement la poste centrale, située en face de la résidence.
 
Le long de la façade arrière de la résidence, une broussaille s’étend jusqu’au port sud. Les personnels des services voisins (Sopecam, Gmi n°2, etc.) racontent qu’ils ont quelquefois surpris des animaux sauvages en provenance de cette petite forêt, réputée être aussi le refuge des fumeurs de chanvre indien. Pourtant, la résidence est gardée nuit et jour par un escadron de gendarmerie. La garde est renouvelée toutes les 24 heures. « Lorsqu’il y a un problème ou qu’une personne a été surprise en infraction, on appelle le Centre d’opérations de la gendarmerie pour information », affirme une source introduite.
 
Théodore Tchopa
 

Bertoua, réfection totale
 
Le palais présidentiel de Bertoua, lui, est situé au quartier Mokolo, c’est un beau joyau qui fait la fierté de la ville, mais  qui depuis plusieurs années n’a plus servi de cadre   aux activités du président de la République. Le palais présidentiel de Bertoua était donc devenu  la résidence officielle des différents gouverneurs qui avaient été appelés à présider aux destinées d’abord de la province, puis de la région de l’Est. Le dernier occupant a été le gouverneur Adolphe Lélé Lafrique. À l’annonce de l’arrivée du chef de l’Etat pour la pose de la première pierre en vue de la construction du barrage de Lom Pangar en décembre 2011, le gouverneur avait déménagé du palais présidentiel trois mois avant, pour une villa située dans le même quartier. Le palais avait donc été soumis à une réfection totale (barrière, portail, vitres, ouvertures,  ravitaillement, canalisations d’eau, installation électrique, téléphone, fax, meubles, pelouse, peinture, système de sécurité renforcé au maximum, etc). Depuis la fin des travaux de réfection, le palais est resté fermé, les gendarmes, postés devant l’entrée principale assurent la sécurité de jour comme de nuit. Monsieur Ekanga  qui semble assurer l’intendance du palais se limite tout simplement à allumer la lumière tous les soirs et à éteindre le matin.  
 
Charles Mahop
 

Ebolowa, après le cambriolage
 
A l'occasion des préparatifs du comice agropastoral en 2011, la résidence du chef de l'Etat à Ebolowa, jusque là occupée par le gouverneur de la région du Sud, avait bénéficié de travaux de réfection. La réhabilitation et l'équipement de ce palais présidentiel avaient coûté "près d'un milliard de FCfA". Quelques mois après le séjour du chef de l'Etat à Ebolowa à l'occasion de la fête du monde rural, sa résidence était victime d'un cambriolage. "18 écrans plasma, des tapis, la lingerie, la literie et plusieurs autres objets de valeur emportés", selon le parquet général de la ville. Au terme de la première phase de l'enquête, deux officiers et trois sous officiers de la gendarmerie étaient déférés à la prison militaire de Yaoundé et cinq civils, receleurs, écroués à Kondengui. Quelques jours après l'incarcération de ces suspects, le gouverneur de la région du Sud, Jules Marcellin Ndjaga, avait également été entendu dans le cadre de cette affaire. Selon Elias Toungue, commandant de la légion de gendarmerie du Sud, "ce n'était que la première phase de l'enquête, la deuxième phase devant permettre l'interpellation de plusieurs autres suspects, conformément aux directives présidentielles". A ce jour, selon une source des services du gouverneur de la région du Sud, "les commodités emportées ont déjà été remplacées et la résidence bien qu’inoccupée, a également vu sa sécurisation renforcée, et son entretien assuré par le Cabinet civil".
 
Jérôme Essian
 

Bamenda, résidence rénovée
 
A proximité du palais présidentiel de Bamenda, un gendarme assure la garde. Ce dernier est vigilant et refuse à tout passant de prendre la moindre photo. Les deux entrées principales sont aussi surveillées. Ce grand bâtiment est bien encadré par une barrière solide, en plein cœur du quartier administratif à Up Station.
 
La résidence présidentielle de Bamenda a subi sa dernière rénovation il y a deux semaines. Les éléments du génie militaire ont refait la peinture et les finitions sur les espaces délabrés. La réfection de ce bâtiment, juste avant le cinquantenaire des armées, avait coûté la bagatelle de 500 millions de FCfa. C’est dans cette résidence qu’on a assisté à la première poignée de main entre Ni John Fru Ndi et Paul Biya, le 10 décembre 2010, en marge de la célébration du cinquantenaire des armées.
 
L’accès à ce bâtiment est facilité par une route bien aménagée et des lampadaires qui, de nuit, illuminent les lieux. Au lendemain du cinquantenaire des armées, c’est une équipe mixte de gendarmes et de militaires placée sous les ordres du commandant du 6e secteur militaire terrestre de Bamenda qui se relaient pour assurer la garde des lieux. « C’est fou ce qu’on peut mettre autant d’hommes en tenue pour surveiller un bâtiment qui demeure toujours inhabité alors qu’on a besoin de ces soldats ailleurs », s’inquiète une source travaillant dans l’un des immeubles voisins. Une autre source affirme voir de temps à autres des personnes tirées à quatre épingles pénétrer dans l’immeuble en compagnie de militaires. Des personnes difficiles à identifier.
 
A la région, on se rappelle que l’ancien gouverneur, voyant sa résidence officielle s’écrouler progressivement, avait sollicité la résidence présidentielle, le temps de se trouver un local autre. La réponse du Cabinet civil avait été négative. Jusqu’à son départ, le gouverneur Abakar Ahamat veillait à ce que cette résidence présidentielle de Bamenda soit bien entretenue et bien surveillée. C’est d’ailleurs, selon ses collaborateurs, l’un des sujets qu’il évoquait lors des réunions de sécurité qu’il présidait.
 
Honoré Feukouo
 

Ngaoundéré, envahi par les herbes
 
Ce mercredi, 21 mars 2012, aucun militaire n’est visible. Des athlètes s’entraînent sur le site. Plus loin, face à la résidence présidentielle, des enfants du quartier jouent au football sous le regard attentif d’une sentinelle. Approché, le soldat dit être là pour garder les lieux et non faire le ménage. Selon ce militaire, la gestion des résidences présidentielles de Ngaoundéré relève du Cabinet civil de la présidence de la République.
 
Le tableau est peu reluisant : herbes, feuilles de manguiers noircies, moisissure, une partie du toit et des portes arrachées, grillages servant de clôture emportés par les voleurs. C’est dans cette ambiance de maison hantée que les villas présidentielles ont été abandonnées. Pas d’entretien, seuls des militaires du 5eme secteur militaire terrestre de l’Adamaoua montent la garde de jour comme de nuit autour des six villas qui constituent la résidence présidentielle de Ngaoundéré, devenue orpheline depuis 2000, date du dernier passage du président Paul Biya à Ngaoundéré à l’occasion du quarantenaire de l’armée camerounaise.
Depuis lors, les villas construites en 1975, en marge de l’inauguration, par l’ex-président Ahidjo, de la gare ferroviaire de Ngaoundéré sont en état de délabrement avancé, excepté la villa principale dans un grand domaine  dont les murs dépassent les 8 mètres de hauteur.
 
Dans les services du gouverneur de la région de l’Adamaoua, les uns et les autres se refusent à tout commentaire sur la gestion des résidences présidentielles. Une source qui a requis l’anonymat à confié que chaque semestre, un entrepreneur vient nettoyer et remplacer les serrures, les rideaux et autres meubles défectueux. «  Nous ne savons rien de leur gestion. On exécute que les ordres », explique notre source.
 
Adolarc Lamissia
 

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“On doit ouvrir les palais au public” : Prince Nasser Raoul Kemajou, coordonnateur d’Ong
Il existe trois types de résidences présidentielles: la résidence de souveraineté, la résidence institutionnelle et le pavillon présidentiel. Dans le cas présent, il s’agit des résidences de souveraineté qui au Cameroun se trouvent dans les villes de Douala, Buea, Dschang, et Garoua. Maintenant concernant leur usage, ces résidences doivent accueillir les hôtes d’honneur à l’exemple du président ou des ministres de passage dans la ville, les ‘‘very important personnality’’ (VIP), des ministres d’autres pays ou alors des présidents d’autres pays en passage fortuit ou alors en escale forcée. C’est pourquoi elles doivent être surveillées, les serrures doivent être codifiées et renouvelées régulièrement. La distance entre ces résidences et les autres maisons alentour doit être au minimum d’1 à  4km, car en temps de guerre, ce sont les premiers endroits ciblés. Malheureusement, au Cameroun, c’est le contraire qui se passe, les maisons sont aux alentours des résidences présidentielles.
La fonction présidentielle est indispensable surtout quand elle met en cause des personnes qui s’occupent des portefeuilles de l’Etat. C’est indispensable car en principe, dans un Etat normal, le chef de l’Etat ne doit pas faire plus de trois ans sans passer dans la capitale économique. Il peut même à ce moment déplacer son gouvernement pour venir y passer au moins une semaine de travail, comme ce qui se passe en Guinée équatoriale où le président passe six mois de travail à Malabo et six autres mois à Bata avec tout son gouvernement. Et là, ils logent dans une résidence présidentielle. Ils logent ‘‘chez eux’’. C’est plus simple et plus économique. La seule chose qu’ils peuvent déplacer, ce sont les gardes du corps, le maître d’hôtel mais, toutes les installations immobilières et autres sont là. Tout est meublé. Or, quand vous allez à l’hôtel avec toute votre suite, rien que la suite présidentielle (admettons qu’il s’agisse de l’hôtel le Méridien par exemple), coûte 380.000F Cfa par nuitée. S’il fait trois jours, cela coûte encore plus cher et rien que sa ration alimentaire et celle de sa suite constituent un budget. Je pense que les gens doivent avoir l’esprit de citoyenneté afin d’accorder plus d’attention à l’usage de ces biens et attacher plus d’importance aux structures d’Etat. Les résidences présidentielles sont des lieux où la sécurité doit être déployée à chaque moment. Malheureusement, les Camerounais ont cru que la paix veut dire s’endormir sur sa sécurité. Au Cameroun, les patrimoines administratifs sont très mal gérés et on ne peut même plus les inventorier et les identifier normalement.
Les résidences présidentielles sont des infrastructures modernes construites avec référence. Elles revalorisent les villes, mais aussi le pays. C’est pourquoi elles doivent respecter les normes présidentielles et en même temps être ouvertes au public. Les résidences présidentielles peuvent être des lieux touristiques. Soit on peut ouvrir leurs jardins comme à Pretoria et à Johannesburg où on entre directement au palais présidentiel et prend des photos. Même à la Maison blanche, les enfants viennent en visite. Le Cameroun pourrait suivre cette voie-là, ce qui attirera sûrement les touristes. Ce sont des endroits qui doivent être accessibles au public. La sécurité interne n’interdit pas les visites.
 
“Case de passage” : Hamadama, syndicaliste à Ngaoundéré
Je trouve que le propriétaire de ces résidences les a abandonnées. Si de temps en temps, il venait y passer ses week-ends ou des courts séjours dans ces maisons qui ont coûté une fortune au trésor public, elles ne seraient jamais dans cet état de délabrement actuel. Il est temps que la présidence de la République transforme ses résidences en case de passage pour les membres du gouvernement qui séjournent à Ngaoundéré et en confie la gestion à la Communauté urbaine ou aux communes d’arrondissement pour l’entretien et l’hébergement des hôtes de marque.
 
"Ces résidences aux autorités locales" : Pascal Noukimi, opérateur économique à Ebolowa
Je pense très humblement, qu'étant donné que le chef de l'Etat, ne se rend pas régulièrement dans les régions pour occuper ces résidences, la meilleure façon de sécuriser ces palais, serait de les attribuer aux personnalités, aux autorités locales souvent en manque de logement. De cette manière, à l'annonce d'un séjour présidentiel dans cette localité, les autorités locales peuvent déménager et réaménager selon les standards de la présidence de la République
 
Propos recueillis par Jérôme Essian, Lamissia Adolarc,
 Josiane Kouagheu (Stagiaire)

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