Cameroun - Travaux publics. Patrick Goldmann: «Il y a eu des centaines de morts. Je le confirme»

Linda Mbiapa | La Nouvelle Expression Lundi le 24 Octobre 2016 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Ce journaliste rescapé du train Intercity victime d’un déraillement au niveau de la gare d’Eseka vendredi le 21 octobre 2016 s’est exprimé au lendemain de la tragédie.

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La Nouvelle Expression qui l’a écouté, vous plonge dans le film du déraillement. Le rescapé pleure à chaudes larmes et revient sur les circonstances de ce drame, les causes, les signes annonciateurs et « ses chiffres des morts » contraires à ceux avancés par le gouvernement camerounais. Pour lui, il y a eu des centaines de morts qui, pour l’heure, sont encore abandonnés dans les ravins.

 

Qu’est-ce qui s’est passé avant le départ du train ?

 

Je fais partie des miraculés, car tout le monde était parti pour périr. Un miracle s’est produit non pas parce que nous méritons plus que les autres, mais c’est le sort de l’Eternel. C’est divin ce qui s’est passé pour que moi je sois en vie. Tout part du fait que la route était coupée, Camair-Co n’avait pas d’avions car nous, on a fait le tour, on était dans les agences et malencontreusement, il n’y avait pas de bus. Et les bus qui étaient là ne pouvaient pas partir. On va à Camair-Co, on se rend compte qu’il y avait un seul avion qui était déjà parti. Du coup, tout le monde s’est rabattu vers la gare ferroviaire de Yaoundé. Le train qui devait partir à 10h30 s’en est allé plutôt à 11h15. On s’est rendu compte qu’il y avait plus de 5000 personnes. C’était surchauffé. A l’intérieur de la gare, on a arrêté de vendre les tickets. Et on a dit à qui mieux mieux. On a dit que les gens qui pouvaient entrer dans le train, qu’ils le fassent et on leur vendra le ticket à l’intérieur du train.

 

Vous dites qu’il y a eu des gens qui sont entrés dans le train sans être enregistrés au préalable et dont les tickets ont été vendus à l’intérieur du train à 6000 voire 10 000 Fcfa le ticket (au lieu de 3000f le prix ordinaire) ?

 

C’est à l’intérieur qu’on nous a vendu le ticket. Vous voyez, le mien n’est pas vraiment un ticket en bonne et due forme. Je l’ai sur moi. Nous, on a acheté les Vip, or je vous assure que vendredi, il n’y avait plus rien de Vip. En fait, le train était bondé de monde. Les uns voyageaient assis et les autres debout. Quand on a vu cette affluence, la compagnie était obligée d’ajouter 7 ou 8 wagons. Au lieu de 8 wagons normalement pour un train. Or, quand on double le wagon, il faut ajouter la locomotive, ce qui n’a pas été fait. Tous les gens qui travaillent dans ce domaine savent que quand on fait une rallonge de wagons, automatiquement il faut ajouter une locomotive.

 

Est-ce qu’il y a eu des signes précurseurs de la tragédie qui s’en est suivie et qui est due, comme vous l’affirmez, au trop plein de voyageurs ? Quel était le nombre de personnes par wagon ce jour-là ?

 

Tout à fait, quand on a traversé les tunnels, puis la falaise, le gars roulait maintenant 100 à l’heure. On ne comprenait pas. Il allait d’abord très vite parce qu’on lui a dit qu’il y a un trop plein de gens à Douala. Donc, il faut revenir, puis donner les wagons qui avaient été empruntés au train de Ngaoundéré. Les restituer et refaire un tour pour Douala. Donc il allait vite. Maintenant, quand on finit de traverser la Falaise, les freins lâchent. Vous savez que c’est un équipement vétuste (le train du Cameroun date de plus de 50 ans. Je ne sais pas si on les révise souvent), et puis vous voyez une locomotive qui est souvent habituée à porter 8 voitures qui en porte le double, le système de freinage devient par conséquent insoutenable. En plus, chaque wagon avait plus de 100 personnes au lieu de 90 (car il y a 90 places assises). On était 100 à 150. Le conducteur a ressenti les effets de cette surcharge puisqu’il a donné l’alerte à Eseka (disant qu’il est en difficulté et qu’on l’aide en freinant là-bas). Quand on traverse le rail, le train prend donc une allure de 400km/h, plus rien ne pouvait nous arrêter ; on allait dans le vide carrément ; je crois que le conducteur ne voulait pas paniquer, mais il savait que c’est fait. On a su qu’on allait crasher à cette allure, les gens criaient dans le train, des personnes qui disaient leurs dernières prières, d’autres qui pleuraient et ceux qui ont eu la maladresse de croire qu’ils pouvaient sauter par les fenêtres et se sauver. Ils sont morts sur le coup. Il y en a qui étaient coupés en deux, écrasés ainsi de suite. Je ne sais pas si dans une semaine je pourrais manger, j’ai vu la chair humaine.

 

Les informations officielles font état d’une cinquantaine de morts et près de 600 blessés ; vous qui avez vécu le drame, ces chiffres sont-ils relativement corrects avec ce que vous avez vu là-bas ?

 

Je suis un journaliste des faits. J’étais seul sur le terrain. Vous pouvez déjà vous imaginer que c’est très loin de la réalité. En fait, quand on arrive à 500 m d’Eseka, les quatre wagons arrière se coupent et ces gens vont dans les ravins avec plus de 100 passagers par voiture et il n’y a qu’une cinquantaine de personnes qui décèdent, dit-on ? Mais ce sont des conneries. Il ne faut pas prendre des Camerounais pour des idiots. Je pleure car j’ai vu les gens mourir devant moi, mon Dieu, et on parle de 50 morts, ça c’est quelle histoire ? C’est plus de 2000 personnes qui sont abandonnées à Eseka en ce moment même (21 octobre 2016, ndlr). Quand les amis venaient nous chercher avec des véhicules personnels, en dehors de l’intervention locale faite par les autorités en place  que je félicite (le préfet a lui-même a pleuré à la morgue. En plus, il n’y a pas de glace à la morgue qui est inopérationnelle, les gens vont pourrir), j’ai vu une benne jaune de la Communauté urbaine ou de la mairie qui transportait des gens qu’on jetait comme du bétail. L’être humain n’est rien. Il y a eu des centaines de morts. Je le confirme.

 

Les secours ont-ils été prompts à agir ?

 

Pas de secours. Quand on arrivait vers Edéa tard le soir, c’est là qu’on a vu les ambulances arriver avec le cortège de quelques autorités. Sinon, sur place, ce sont les voitures personnelles des proches des victimes qui venaient les secourir. Il y a eu trois agences de transport qui ont vendu des tickets mais il n’y a pas de bus, de cars pour aider. Vers Edéa, on a vu Buca voyages, sans doute qui allait à Eseka. Ni une assurance de la compagnie qui nous a transportés, ni personne, ni aucune réunion de crise, vous voyez comme ça se passe en Occident, on vous apporte des couvertures, du sandwich, rien de tout cela. Chacun se débrouillait comme il pouvait. Aucun secours. Je parle la main sur le cœur.

 

Vous dites que le drame s’est produit sur le coup de 13h mais avant cette heure-là, il y avait déjà des images qui circulaient sur le net, comment peut-on expliquer cela ?

 

Je ne sais pas. Je sais que le train est parti de Yaoundé à 11h 15 comme je l’ai dit plus haut ; je regardais ma montre. Quand on a fini de traverser Yaoundé, on a commencé à rouler très vite.

Recueillis par Linda Mbiapa, stg

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