Cameroun - Santé. Orthorexie: quand l'envie de trop bien faire nuit à la santé

Le Figaro Vendredi le 05 Aout 2016 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Moins connue que l'anorexie ou la boulimie, l'orthorexie est un trouble alimentaire qui peut sérieusement nuire à la santé. Le Pr Patrick Denoux*, auteur de Pourquoi cette peur au ventre (éditions JCLattès), en explique les mécanismes.

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LE FIGARO.- Comment définir l'orthorexie?

Pr Patrick DENOUX.- C'est un ensemble de comportements témoignant d'une focalisation excessive sur une alimentation saine. Il n'y a pas de profil spécifique. À un moment donné, la personne rencontre une difficulté psychologique (angoisse, anxiété) et son raisonnement est d'attribuer cette difficulté à ce qu'elle a mangé. Jugé «mauvais», cet aliment est supprimé de l'alimentation, selon un mode de pensée archaïque et infantile. Dans un premier temps, l'individu se sent mieux, mais comme ce n'est pas la réelle cause de son mal-être, celui-ci revient et la logique recommence avec un nouvel aliment. La spirale du risque imaginé s'enclenche ainsi: la personne additionne des soustractions qui la font basculer vers des carences potentiellement très dangereuses puisque il est arrivé que certaines en meurent.

Connaît-on l'ampleur du phénomène?

On manque d'études extensives pour parler avec certitude mais on estime que cela concerne 3 % de la population, ce qui est déjà énorme. Et, les femmes sont davantage touchées que les hommes.

À quoi reconnaît-on un orthorexique?

Il n'y a pas un régime orthorexique qui ressemble à un autre. Le trouble peut se manifester de façons très différentes: telle personne ne va manger que des fruits cueillis depuis moins de quinze minutes, telle autre va mâcher chaque bouchée cinquante fois et une autre encore ne va se nourrir que de sucre et de mouton. Toutes les formes sont possibles. En revanche, les personnes prises dans cette spirale ont en commun de se désocialiser peu à peu: on finit par ne plus les inviter parce qu'elles n'acceptent plus les dîners ou parce qu'elles arrivent à la soirée avec leur nourriture. Autre indicateur: le temps passé à choisir, peser, analyser la composition nutritionnelle des aliments en faisant les courses, sans se préoccuper du goût. Certains peuvent y passer la journée! Ils réduisent la vie à la santé, la santé à un menu et un menu à une ordonnance.

Est-ce proche de l'anorexie?

L'orthorexie se distingue de l'anorexie en ce que l'anorexique cherche à se couper du monde et poursuit un but esthétique, alors que l'orthorexique souffre du rejet que ses interdits instaurent et n'est pas, en général, obsédé par son image mais par sa santé.

Que conseiller à une personne qui présente des signes d'orthorexie?

Il est difficile de s'en sortir seul, il faut se faire aider par un psychologue qui a l'habitude des troubles alimentaires. Les clés sont dans le rapport de l'individu avec l'alimentation. L'orthorexique est pris dans une dialectique de culpabilité: soit il s'aime (parce qu'il respecte ses interdits) mais il n'est pas aimé par les autres, soit il mange comme les autres et se fait apprécier, mais il ne s'aime plus parce qu'il déroge à ses croyances. Or transgresser des interdits que vous vous êtes choisis, c'est beaucoup plus difficile que de ne pas respecter les règles qu'un tiers vous a imposées.

Qu'est-ce qui favorise l'orthorexie dans notre société?

Les diverses crises alimentaires ont sabordé la confiance dans l'alimentation. Pendant les Trente Glorieuses, on a confié la supervision de toute la chaîne de production alimentaire aux producteurs eux-mêmes. Cela a conduit à des drames comme le scandale de l'huile frelatée en Espagne en 1981 (de l'huile industrielle avait été vendue comme de l'huile d'olive, causant près de quatre cents morts). On voit réapparaître des formes de suspicion traditionnelles: on redoute l'«empoisonnement», un terme qui brasse beaucoup de fantasmes.

En parallèle, certaines personnes se trouvent perdues par la coexistence de trois systèmes de valeur: l'un qui valorise la nourriture traditionnelle et familiale ; un autre, la nourriture industrielle ; et un dernier, la valeur santé. On voit dans les cabinets des nutritionnistes beaucoup de gens qui demandent «que dois-je manger ?». L'orthorexie est une position de repli pour se protéger de cette incapacité à décider comment s'alimenter.

Sans compter qu'aujourd'hui, la singularité est valorisée, et les exceptions alimentaires offrent l'occasion de se distinguer. Lorsqu'ils sont invités, les gens n'hésitent plus à refuser un plat parce qu'il contient quelque chose qu'ils ne mangent pas. En d'autres temps ou sous d'autres cultures, cela serait considéré comme un terrible affront pour les hôtes, sous-entendant que vous vous méfiez de ce qu'ils servent. Mais au contraire, ils s'excusent de n'avoir pas tenu compte de la singularité de leur invité.

* Patrick Denoux est professeur de psychologie interculturelle à l'université Toulouse-Jean Jaurès.

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