Cameroun - Economie. Microfinance : Prévenir la faillite

François Bambou | Défis Actuels Jeudi le 08 Septembre 2016 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La situation financière de la plupart des EMF est préoccupante du fait de la mauvaise qualité du portefeuille des crédits, de l’insuffisance des fonds propres ou de fonds patrimoniaux entraînant le nonrespect des normes de solvabilité, de couverture des risques voire de liquidité.

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On croyait les scènes de colère devant les agences de microfinances révolues, jusqu’à il y a deux semaines, lorsque la Comeci (Compagnie équatoriale pour l’Epargne et le Crédit d’Investissements), un des établissements de microfinance les plus en vue, est entrée dans une grave crise de trésorerie, privant les épargnants de l’accès libre à leur argent. Pourtant, les statistiques officielles présentent un secteur en pleine renaissance, après la première vague d’assainissement à l’aube des années 2000 qui avait entrainé la fermeture de près de 400 structures, le transfert de la tutelle du ministère de l’Agriculture vers le ministère des Finances (Minfi), et la mise en place de normes prudentielles rigoureuses sous l’égide de la Commission Bancaire de l’Afrique centrale (Cobac).

Avec 418 établissements de microfinance (EMF) agréés fin 2014 (dont 166 indépendants et 252 en réseau), le secteur camerounais de la microfinance est le plus étendu de toute la sous-région. Il concentre 65 % du nombre total des EMF présentes en zone Cemac, 70 % du total des bénéficiaires, 68 % de l’encours des dépôts et 75 % du volume des crédits des EMF de la zone Cemac. Les 1 100 agences réparties sur le territoire offrent environ 15 000 emplois directs et environ 7 000 emplois indirects. Selon le ministère des Finances, à fin décembre 2014, l’encours des dépôts s’élève à 519 milliards contre 456,1 milliards à fin décembre 2013. Les crédits quant à eux sont en hausse de 8 % pour se situer à 309 milliards. Au total, les EMF mobilisent au Cameroun environ 13,5 % des dépôts et distribuent 11,4 % des crédits du système bancaire et financier.

Lorsqu’on se souvient qu’il y a environ dix ans, le secteur de la microfinance plafonnait à 70 milliards de dépôts et 40 milliards de crédits, on mesure encore mieux le chemin parcouru et le dynamisme des acteurs camerounais du secteur.

Des indicateurs rassurants qui conduisent les analystes du gouvernement à estimer que le secteur de la microfinance a renoué avec des résultats positifs dès 2014 : « après les pertes successives de 4,4 milliards en 2013, 1,9 milliard en 2012 et 3,7 milliards en 2011, son résultat net global s’établit à 195 millions en 2014. Cette embellie s’explique par l’assainissement des portefeuilles de certains EMF », souligne le Minfi.

AMATEURISME

En ce qui concerne les normes prudentielles, les EMF s’adaptent progressivement aux nouvelles exigences à la faveur de la multiplication des missions de contrôle. Le ratio de couverture des risques est passé de 6,7 % en 2013 à 7,3 % en 2014, bien qu’étant encore inférieur au seuil de 8 % requis. Autres indicateurs qui témoignent de la vitalité globale du secteur, les crédits à court terme pèsent entre 55 et 60 % et les crédits à moyen terme entre 22 et 30 %.

Les créances douteuses représentent 15,5 % de l’ensemble des crédits. Les concours octroyés sont destinés en priorité au commerce (40 %), à la consommation (30 %) et, le reste est partagé entre l’artisanat, l’agriculture, l’élevage et la pêche. Tous ces crédits sont principalement orientés vers les PME, les très petites entreprises et le secteur informel.

Autre signe de vitalité du secteur : près d’une trentaine de ces EMF dispose chacun de volumes de dépôts supérieurs à 1 milliard de francs CFA, ce qui témoigne de la confiance croissante du grand public en ce secteur qui permet de bancariser les couches peu nanties, évincées du système financier par les banques classiques. Dans ce peloton des EMF collectant un gros volume de dépôt, deux firmes se distinguent : le Crédit Communautaire d’Afrique (CCA) et le réseau Camccul (Cameroon Coopérative Credit union League).

Modeste coopérative d’épargne de crédit à sa naissance en juillet 1997, le Crédit Communautaire d’Afrique (CCA) fait aujourd’hui figure de fleuron de la finance camerounaise, avec son réseau de 33 agences disséminées à travers le pays, offrant des services modernes tels que la monétique et le e-banking. En 2014, CCA abritait près de 120 milliards de dépôts, avec un portefeuille de crédit chiffré à quelque 50 milliards de francs CFA.

Des indicateurs qui le classent devant plusieurs banques de premier ordre.

Selon un dirigeant de l’entreprise, cette performance d’une structure financière à capitaux camerounais ne peut que déteindre sur le reste du secteur : « nous intégrons dans notre démarche managériale et marketing, la réflexion de David Kearns qui disait: « Dans la course à la qualité, il n’y a pas de ligne d’arrivée ».

Nous avons le devoir d’asseoir l’image positive de la microfinance notamment en offrant aux couches défavorisées les services financiers modernes dont ne bénéficiaient jusqu’à présent que les clients de banques. Il s’agira entre autres des systèmes intelligents dont : la monétique (mise à la disposition de notre clientèle des cartes bancaires), l’interconnexion de nos agences, l’e-banking pour renforcer la proximité avec notre clientèle », souligne notre interlocuteur. À eux seuls, ces deux établissements (Camccull et CCA.) se partagent 51,7 % du marché de crédit et 51,6 % de celui des dépôts.

Toutefois, ces indicateurs globaux satisfaisants ou encore les succès impressionnants d’une firme comme le Crédit Communautaires d’Afrique cachent mal un désordre persistant, qui mine le secteur depuis plusieurs années : l’amateurisme coupable de nombres dirigeants d’EMF conduit à de mauvaises pratiques qui continuent de menacer la survie de nombre de ces établissements de microfinance. Selon le ministère des Finances, « la situation financière de la plupart des EMF est préoccupante du fait de la mauvaise qualité du portefeuille des crédits, de l’insuffisance des fonds propres ou de fonds patrimoniaux entraînant le non-respect des normes de solvabilité, de couverture des risques voire de liquidité. Plus de la moitié des EMF ne sont pas en conformité avec les normes prudentielles spécifiques. Plusieurs structures exercent sans agréments ».

SUPERVISION

Pour le Fonds Monétaire International, cette question du respect des normes ou encore de la bonne gestion des EMF doit préoccuper, car l’organisme de contrôle bancaire régional, la Cobac, « n’est pas en mesure de remplir son mandat en raison de contraintes de capacité et du nombre élevé des institutions sous sa surveillance. » Pour renforcer la fiabilité des informations financières, la Cobac a entamé la mise en place du système d’évaluation et de supervision de l’activité de la microfinance dénommé « Sesame » dont le volet comptable est déjà entré en vigueur. L’objectif de cette application est la collecte des données en vue de l’analyse financière et la production automatique des normes prudentielles et des états déclaratifs et publiables des EMF.

Au plan administratif, selon le diagnostic du ministère des Finances, les tares sont nombreuses. En plus des EMF qui fonctionnent sans agrément, on déplore surtout la gestion des établissements de microfinance par les promoteurs en lieu et place des dirigeants responsables agréés. La conséquence de cette dérive teintée d’affairisme est logiquement l’absence de système de contrôle interne.

On note aussi que dans nombre d’EMF, la comptabilité n’est pas fiable, puisque « la certification des comptes est souvent faite par les comptables de fortune au motif que les frais de certification sont élevés ainsi que la non tenue des assemblées générales et des conseils d’administration, manquement qui met à mal la gouvernance des établissements. »

La persistance de ces problèmes de gouvernance dans les EMF prouve au moins une chose : Sans un contrôle accru du gouvernement et de la Cobac, les meilleures réglementations n’apporteront pas la sérénité tant souhaitée par les épargnants.

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