Cameroun - Nécrologie. Lydia Ewandé et Anne-Marie Nzié : hommage à deux Wonder Women camerounaises

Clarisse Juompan-Yakam | Jeune Afrique Lundi le 30 Mai 2016 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Elles avaient 83 et 84 ans, totalisaient ensemble plus de 120 ans de carrière artistique, l’une en Europe, l’autre sur le continent.

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Les Camerounaises Lydia Ewandé et Anne-Marie Nzié ont tiré leur révérence à un mois d’intervalle, respectivement le 20 avril dans le Loiret (France), et le 24 mai à Yaoundé (Cameroun). Petite espièglerie de stars de la part de ces deux grandes dames? Peut-être. En tout cas le résultat est là : une double perte et un chagrin double infligés par deux pionnières, comme pour mieux nous faire culpabiliser de n’avoir pas assez salué leur audace, leur avant-gardisme, dans les domaines qui étaient les leurs, elles qui ont évolué dans deux mondes parallèles, sans peut-être jamais se croiser, mais affrontant l’adversité avec la même admirable niaque.

De la première lignée – bien clairsemée – des comédiennes africaines de la scène française, Lydia Ewandé peut se prévaloir de l’une des carrières les plus denses qu’un comédien noir ait connue en Europe. Elle la débute sur les planches, dans les années 1950. Très vite, elle travaille aux côtés des plus grands, associée à des productions marquantes, telles Les Nègres de Jean Genet. Mise en scène par Roger Blin, la pièce interroge les troubles de l’identité coloniale, démontre, provocatrice, que le nègre n’est rien d’autre qu’un Noir vu dans le prisme avilissant du Blanc.

Les Nègres, qui exaltent déjà les revendications des minorités (noires, mais pas que), orientent sans doute la suite de la carrière d’Ewandé, la poussant à une grande exigence dans ses choix de rôles. On la retrouve aussi dans Mesure pour mesure de William Shakespeare, mis en scène par Peter Brook. Sensible à l’œuvre d’Aimé Césaire, elle joue dans La Tragédie du Roi Christophe mise en scène par Jean-Marie Serreau et endosse elle-même le costume de metteur en scène pour Cahier de retour au pays natal. Artiste vivant avec son temps, Lydia Ewandé joue aussi dans des productions françaises commerciales, signées notamment Sacha Guitry.

Première apparition en 1957

Au cinéma, où elle fait sa première apparition en 1957 dans Pot Bouille de Jean Duvivier avec Gérard Philipe, cette artiste éclectique au fort tempérament enchaîne les rôles pendant cinquante ans, mettant un point d’honneur à écarter ceux de personnages noirs caricaturaux, car, dit-elle, « toutes les femmes noires ne sont pas des nounous ».

À partir des années 1980, elle s’illustre surtout dans des comédies populaires : Marche à l’ombre de Michel Blanc, Tranches de vie de François Leterrier ou Black Mic Mac (1986) de Thomas Gilou. En 1993, elle est aux côtés d’Isabelle Adjani dans Toxic Affair de Philomène Esposito et dans Métisse de Mathieu Kassovitz. Lydia Ewandè joue aussi dans Yamakasi d’Ariel Zeitoun, J’ai horreur de l’amour de Laurence Ferreira-Barbosa, Elisa de Jean Becker. Les habitués des séries et téléfilms français ont certainement vu cette travailleuse acharnée dans L’Instit, Les Grands frères, Madame le Proviseur, Une famille formidable, Navarro, Inspecteur Lavardin…



Lydia Ewandé est apparue pour la dernière fois en 2007 dans un téléfilm d’Euzhan Palcy – Les Mariées de l’isle Bourbon -, qui déplore que la France ne lui ait pas donné davantage de rôles importants. Chanteuse, Lydia Ewandé a également signé plusieurs disques importants, notamment chez Barclays : A bog esia wam, Ebi Weka, A muna tete, Dibato la ndôlô et Ebow’a tete.

    Du nord au sud, d’est en ouest, Anne-Marie Nzié chante l’amour, la tristesse, la joie, dans des mélodies aux faux airs de blues urbain de l’Amérique des années 40-50

Si la musique n’était qu’une corde supplémentaire à l’arc de Lydia Ewandè, elle était toute la vie de sa compatriote Anne-Marie Nzié, qui commence à chanter à 8 ans, dans la chorale de son village. Mais, à 12 ans, une grave chute du haut d’un arbre la cloue sur un lit d’hôpital durant quinze interminables années. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de continuer à chanter, notamment aux côtés de son frère, Cromwell, jusqu’à leur brouille. Débute alors pour la crooneuse une riche et longue carrière de plus de 60 ans sur les scènes des capitales africaines. Du nord au sud, d’est en ouest, elle chante l’amour, la tristesse, la joie, dans des mélodies aux faux airs de blues urbain de l’Amérique des années 40-50.

La « maman » du bikutsi

Anne-Marie Nzié flirte aussi avec l’Occident : elle chante en duo avec Tino Rossi à Yaoundé, reprend le « Bâteau miracle » de Gilbert Bécaud en France, en 1962, pour une campagne mondiale contre la faim, enregistre chez Pathé Marconi de grands succès tels que « Mab banze », « Nguimba », « Ma bélé na mur ».

Surnommée la « voix d’or », Anne-Marie Nzié a été rebaptisée après sa mort la « voix de diamant » par Manu Dibango, qui la considère comme unique. Un jugement qui ravive nos regrets de l’avoir pas rencontrée, notamment après avoir réécouté ses titres les moins connus. Celle qui se présentait volontiers comme la « maman » du bikutsi nous aurait peut-être livré les secrets de ses surprenantes ballades, dont la populaire « Me Yimbo melp fuom » et la très mélodieuse « Ballade en novembre », chantée en français. Elle nous aurait raconté l’histoire de sa rumba « O mbina ma me », la naissance de ses biguines « Odili » et « Sarah », définitivement inscrites au patrimoine national.

Elle nous aurait certainement fait rire aussi. Elle raillait avec un bel humour les engagements non tenus du gouvernement. On lui avait notamment promis une maison, dont elle disait n’avoir pas vu la fin des travaux, les budgets alloués ayant été siphonnés par des fonctionnaires véreux « coupeurs de route ». Son pays lui aura tout de même rendu en 2008 un vibrant hommage national.
 

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