Cameroun - Politique. Le «Renouveau Camerounais » Ou Le Syndrome de l’Hippopotame

La Nouvelle Expression Jeudi le 08 Novembre 2012 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Il y a trente ans une personnalité bien connue a instamment sollicité notre participation à la rédaction d’un ouvrage collectif dont le titre exprimait un souci de diagnostic et de mise en perspective : Le Renouveau camerounais : certitudes et défis.

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Trois décennies après, nous voudrions espérer que cette personnalité, qui a toujours pignon sur rue, sollicitera d’autres Camerounais pour un ouvrage bilan sur les trente dernières années et dont le titre pourrait être : Le Renouveau camerounais : la Certitude des défis.

Ce titre se justifie du fait qu’en trente ans, nos multiples certitudes de départ se sont toutes progressivement évanouies ; en revanche les rares défis de 1982 se sont amplifiés de manière exponentielle pour cause de minimalisme d’Etat.

L’histoire ne fonctionne pourtant pas à reculons. Et le temps n’est pas, non plus, un simple compte à rebours. Le Cameroun a atteint son point de bifurcation sociale, économique et politique ; et les plus complaisants des thuriféraires savent, au fonds de ce que nous leur prêtons de conscience, que l’échec du Renouveau camerounais n’est plus à démontrer. Ils s’en défendent encore en public ; mais la plupart se rendent bien compte, et se l’avouent en privé, que s’ils se sont financièrement enrichis aux dépens de leur pays, ils se sont sévèrement appauvris moralement, et que leurs propres enfants en éprouvent quelque honte devant leurs camarades auxquels ils n’opposent plus qu’une arrogance de luxe injustifiée, du reste proportionnelle à une vacuité existentielle de plus en plus irrattrapable.

Cette observation tient de ce que ceux qui se sont construits un cocon étanche contre la réalité que vivent les Camerounais, ceux-là ne comprennent pas que des Camerounais, de loin moins aisés qu’eux et même plutôt indigents, réussissent encore à leur tenir tête, à ne pas mendier la pitance du jour devant leur guérite. Ils ne comprennent absolument pas que ces laissés pour compte en arrivent même à se moquer d’une opulence que ne parviennent pas à justifier ceux qui l’affichent. Car ceux qui se sont ainsi enrichis sur la pauvreté nationale subissent la traque du mensonge constitutionnel que constitue l’article 66 de la Constitution – où il est prescrit à toute personnalité d’un certain rang administratif ou politique de déclarer ses biens.

Au-delà des toutes les analyses savantes que nos Docteurs en doctorat et nos Agrégés en agrégation pourraient faire, nous tenons-là la preuve la plus abjecte, mais néanmoins objective, de la roublardise du Renouveau camerounais. Cette preuve est d’autant plus remarquable qu’elle nous est assenée par celui qui, en 1982, se laissait complaisamment décrire dans un autre livre comme « L’Incarnation de la rigueur ». La rigueur eût voulu que notre constitution fût non seulement rigoureusement appliquée mais tout aussi vigoureusement défendue par celui qui, pendant trente ans, aura prêté le serment de la défendre.

Le peuple du Cameroun doit aujourd’hui constater qu’il est la proie d’une organisation administrative dont les intérêts sont ailleurs, dictés d’ailleurs, pour un ailleurs autre que le Cameroun. Il n’y a pas meilleure définition de l’incurie managériale et de l’antipatriotisme gouvernemental. Dans son dernier Grand Angle « 1982-2012 : de Biya à Biya », (cf. Jeune Afrique, N° 2703-2704 du 28 Oct. Au 10 Nov. 2012, p.30), François Soudan rapporte que Jacques Chirac se demandait comment Paul Biya pouvait diriger un pays aussi complexe que le Cameroun « en s’y consacrant aussi peu ». Peut-être J. Chirac aurait-il dû se demander si les ambitions de Paul Barthélémy Biya étaient d’entreprendre autre chose que de se consacrer…à Paul Barthélemy Biya. Après trente ans en effet, ceux des Camerounais qui n’ont pas peur d’affronter leur propre vérité reconnaissent que Paul Barthélémy Biya avait de grandes ambitions en trois points dont le premier était Paul, le second Barthélémy et le troisième Biya. Chacun sait désormais que la grande réalisation de ces grandes ambitions narcissiques d’Etat a incité leur promoteur à cultiver le narcissisme - chez presque tous les commis de l’Etat : elle a formé, que dis-je, formaté les agents de l’Etat à se préférer à l’Etat. L’inspirateur d’une telle déviance professionnelle ne peut donc plus réussir à faire accroire qu’il s’indigne que des Décideurs du Cameroun aussi rigoureusement formatés à la préférence personnelle se soient montrés aussi voraces, et qu’ils soient désormais, pour certains, plus riches que l’Etat.

Car c’est bien ainsi qu’au fil des décennies, nos certitudes de départ ont été immergées sous la vague des défis de plus en plus émergents.

Suffit-il, de le constater ?

Que non, assurément. Car pour avoir conçu, organisé et méthodiquement entrepris la rapine que chacun constate, il faut que ceux qui l’ont perpétrée l’aient voulue, choisie et diligentée. De le leur reprocher n’est plus une information pour eux, encore moins une innovation pour les populations qui l’éprouvent dans leur chair. Rien de ce qui peut être dit à leur encontre ne leur est plus inconnu, puisqu’ils en sont les concepteurs, les acteurs et les bénéficiaires. Il n’y a aucune créativité à dire à un âne : « Espèce d’âne !». A la rigueur, c’est le cas de le dire, le baudet s’étonnera que vous le nommiez en l’affublant du prénom « Espèce » - qu’il n’est point dans les capacités de son espèce de comprendre. Le malheur du Cameroun est d’avoir eu à subir cet opprobre managérial au moment où les Camerounais espéraient, tous avec la même générosité, mieux qu’une embellie nationale, un envol collectif.

Les Camerounais auraient sans doute aimé que par-delà les incantations sur la démocratie, les logorrhées sur les libertés et les jactances sur l’Etat de droit, ils auraient aimé qu’il y eût un peu moins d’infatuation et davantage de modestie au regard de nos insuffisances trentenaires. Seulement, cela aurait exigé que l’on fût déjà conscient desdites insuffisances et qu’on devînt effectivement rigoureux. Mais le propre de l’infatuation est de s’installer dans l’autoglorification, de s’enfermer dans une bulle si étanche que de n’avoir plus soif soi-même fasse penser qu’on a réussi à offrir de l’eau et à étancher la soif d’un peuple qu’on a pourtant déshydraté. C’est une autre manière de se définir comme autocrate que de faire du pouvoir une valeur d’appropriation dont on dépossède tout un peuple pour mieux l’orienter sur soi, pour soi en tenant des discours sur la démocratie, l’indépendance de la justice et la bonne gouvernance dans un « Etat de droit ».

Ce mensonge d’Etat est ce qui a consacré l’installation du Renouveau camerounais dans la corruption. Car dans corrompre il y a rompre : un contrat moral a été rompu, non point accidentellement, mais délibérément, avec si peu de vergogne qu’on entend encore des prédateurs se vanter d’avoir, eux au moins, et déjà, cette compétence de prédation, étant donné, disent-ils, « qu’il n’est pas facile à tout le monde de voler ». La caverne d’Ali Baba n’avait que quarante voleurs. Si le Triangle camerounais en compte un nombre bien plus effarant, c’est qu’après avoir rompu le contrat de rigueur et de moralisation qu’il s’était pourtant librement (as)signé, le plus grand commun prédateur s’offre une nouvelle forme de corruption : il manipule l’épée de la Justice contre des citoyens qu’il a, dans certains cas « mouillés » pour les « tenir ». Dans d’autres, il broie des citoyens pour n’avoir pas eu sur eux l’emprise qu’il aurait souhaité avoir. La liberté de pensée et la fierté de son autonomie existentielle sont ainsi donc devenues des crimes de lèse-autocrate au Cameroun.

Lorsque Jacques Fame Ndongo proclame sa foi de « créature », lorsqu’il se reconnaît « esclave » et veut convaincre tous ceux du sérail qu’ils le sont comme lui, on tient pour certain qu’il surprend le bon sens et qu’il vexe le sens de la dignité des Camerounais. Mais nous tenons aussi bien pour certain que Jacques Fame Ndongo ne (se) ment pas : il se confesse pour ainsi dire de bonne foi ; en se décrivant ainsi, il nous livre le profil moral et social de tous ceux qui, comme lui, ont choisi d’être des choses et des objets entre les mains de leur « créateur ». C’est au seul nom de leur créateur qu’ils sont ce qu’ils sont, et qu’ils font ce qu’ils font, puisque tout cela ne peut raisonnablement être fait au nom d’une quelconque république, celle-ci fût-elle aussi bananière que la République très démocratique du Guandouana ! L’autoportrait de Jacques Fame Ndongo nous présente donc le prototype des chefs-d’œuvre dont la galerie du Renouveau camerounais organise l’exposition après trente ans ; il a le mérite de nous révéler que partis en 1982 pour la défense des valeurs humanistes, nous sommes en pleine prolifération des déchéances esclavagistes. La galerie du Renouveau camerounais dit mieux : elle enseigne à partir de cet autoportrait que le Cameroun est entre les mains d’un esclavagiste. Et rien ne nous autorisant à douter d’une confession aussi spontanée que celle de Jacques Fame Ndongo, ce serait lui faire injure que de douter de sa bonne foi.

Le seul ennui, c’est qu’on ne bâtit pas la liberté avec des mentalités d’esclave. Un esclave en responsabilité publique ne réussit au mieux qu’à esclavagiser son public. Les psychologues l’ont établi : l’enfant battu battra ; et les aveux des prédateurs sexuels confirment que la plupart ont subi les sévices qu’ils s’estiment fondés à infliger aux autres… Quel esclave faut-il donc avoir été pour, à ce point, promouvoir un tel esclavage ! Plutôt que de l’en blâmer, tenons plutôt la douloureuse confession de Jacques Fame Ndongo pour un appel de détresse. Nous n’avons pas le droit de le laisser (dé)périr : il faut sauver le soldat Jacques !

La cohorte de pratiques aussi avilissantes et déshumanisantes les unes que les autres est donc liée : c’est ce bouquet de déshonneur que le Renouveau aura réussi à confectionner, en flagrant démenti des espoirs qu’il a nourris par les discours dont il a gavés les Camerounais. La punition de ce régime est cependant de devoir se défendre contre lui-même, de devoir diligemment instruire son propre procès pour avoir, contre tout serment, fait prospérer une immoralité inqualifiable à partir de ses promesses de moralisation. La rigueur en devait être la méthode : nous avons eu droit à un laxisme proche d’un libertinage et d’un laisser faire tout rabelaisiens, la marque déposée de l’Abbaye de Thélème : « Fais ce que voudras ». A l’examen, ce laisser faire doit avoir été le ressort secret du Renouveau, conçu pour deux ou trois objectifs connexes :

1- Distraire les potentiels prétendants au pouvoir par des avantages exorbitants et au demeurant injustifiés en les gavant de facilités pour qu’ils ne soient en aucun moment tentés par le trône.

2- Orienter les commis de l’Etat vers les antichambres de la tentation d’enrichissement illicite pour bien les « tremper », afin de les « tenir » à mi-parcours de leur razzia.

3- Organiser l’amalgame au moment choisi pour incriminer tout gestionnaire et, en toute sournoiserie, régler quelques comptes à tous ceux qui avaient osé penser par eux-mêmes en organisant leur autonomie sociale et matérielle vis-à-vis du « créateur » et de ses « esclavages ».

En somme, le Cameroun et la majorité des ses hommes publics - nous ne disons pas encore « hommes d’Etat » - se découvrent victimes d’un piège administratif : les métiers, qui se fondent sur le mérite personnel, ont été dévalorisés au seul profit des fonctions qui, de manière discrétionnaire, dépendent du seul bon vouloir du Souverain. Et ce dernier sait, pour avoir organisé la dépendance liée aux fonctions, qu’au bout du fromage il a placé une souricière. Ceux qui n’ont pas su résister à l’appât de l’enrichissement facile se sont fait ferrer comme de vulgaires goujons. Ceux qui ont osé y résister se sont quand même vus happer et accabler par une Justice à charge, instrumentalisée par un Exécutif d’exécutions sommaires qui s’est installé sur le curseur de la balance judiciaire. D’où l’Opération Epervier et ses inquisitions à la médiévale.

La rupture originelle du contrat moral a ainsi débouché sur la rupture du contrat judiciaire. L’Etat de corruption s’est aggravé d’un Etat de parjure sur fond de présidentialisation de la justice.

Il n’est donc plus d’aucun intérêt de dire que le Renouveau camerounais a échoué. Quand la réussite politique d’un système se résume à la seule longévité d’un homme sur un trône, et quand cette longévité se conclue sur le tard par des décapitations génocidaires de l’élite nationale comme par le fameux coup de pied de l’âne, il faut avoir un estomac de pourceau pour ne pas éprouver de bien désagréables remontées.

Ceux qui l’ont étudié disent de l’hippopotame qu’il est si sensible d’odorat qu’il ne supporte pas la moindre mauvaise odeur. Mais la gadoue dans laquelle l’hippopotame se vautre est si nauséabonde qu’il n’y a que l’hippopotame pour s’y (com) plaire.

Le Renouveau camerounais semble donc bien vivre le paradoxe de l’hippopotame : sa culture de jouissance et de la complaisance dans l’immoralité du luxe et de la luxure n’est pas sa moindre contradiction, lui qui a si haut claironné la rigueur et la moralisation. D’aucuns, par désespoir, invoquent Dame nature pour les débarrasser de cet effroyable paradoxe. Ce n’est pourtant guère par la mort sociale ou physique qu’on devrait régler les questions politiques.

Nous n’attendons certes plus qu’après trente ans, le « Renouveau camerounais » s’inscrive à l’apprentissage des valeurs qu’il a bruyamment annoncées, mais auxquelles il lui aura été aussi difficile de se contraindre ; mais nous souhaitons longue vie aux Hippo du Renouveau pour qu’ils continuent de voir combien les odeurs qu’ils se sont obstinés à exhaler pendant trente ans obligent les Camerounais les plus courtois à se pincer les narines, et les Camerounais les plus sournois à porter des…masques.


 Charly Gabriel Mbock Ecrivain

 

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