Cameroun - Politique. Interview : Théophile Yimgaing Moyo

Mutations Vendredi le 02 Mars 2012 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
L'invité de la rédaction est Théophile Yimgaing Moyo, du Mouvement Citoyen (MOCI), une formation politique née début 2011 et dont le président, avait claqué la porte de l’UDC (l’Union Démocratique du Cameroun du Dr Adamou Ndam Njoya), où il occupait les fonctions de secrétaire national à la communication.

ADS


Mutations L’opposition fait preuve de déficit de stratégie politique

Depuis 2011, il est «Beu Pu Feu», c'est-à-dire le «soutien du bras du chef» de Baham, dans les Hauts-Plateaux de l’Ouest. Mais ce n’est pas en tenue traditionnelle que «Théo», pour les intimes, est arrivé Rue de l’aéroport en ce lundi 13 février 2012. Port altier, joues rondes, lunettes vissées sur le nez, ce sexagénaire (63 ans le 10 août prochain) est demeuré égal à lui-même : pas un mot plus haut qu’un autre, la gestuelle tout aussi expressive, le discours aussi diplomatique que possible. Question, comme il le dit lui-même, d’avoir «le minimum de personnes» contre lui. Mutations a donc reçu le professeur à l’université de Yaoundé I, enseignant à l’Ecole nationale supérieure polytechnique qui n’a pas effacé de son esprit qu’il aurait pu connaître une carrière plus heureuse. Mais qui n’est pas peu fier d’avoir formé, entre autres, l’actuel ministre de l’Habitat et du Développement urbain, Jean Claude Mbwentchou. C’est aussi l’homme politique, président du Mouvement citoyen (Moci), ancien de l’Union nationale des étudiants du Kamerun (Unek) et de l’Union démocratique du Cameroun (Udc). Et qui, après avoir boudé la présidentielle du 9 octobre 2012, stigmatise le déficit de stratégie politique dont feraient preuve, selon lui, ses congénères de l’opposition. C’est aussi l’architecte de renom, président de l’Ordre national des urbanistes du Cameroun, qui juge «exagéré» de dire que Yaoundé s’embellit sous l’action de sa communauté urbaine.

Mutations: Pourquoi avez-vous quitté l’Udc ?

Cette question revient très souvent parce qu’au Cameroun, on est habitué à la transhumance politique. Je dois d’emblée dire que je suis rentré en politique vers 1969. et l’Union démocratique du Cameroun n’est pas ma première expérience politique. Quand j’arrive en France, je suis logiquement membre de l’Union des étudiants du Kamerun (Unek) avec quelques camarades que vous connaissez très bien tels que : Elisabeth Mendomo, Henriette Ekwé, Siméon Kuissu… Ainsi, nous militions tous à l’Unek puis plus tard au Manidem (Mouvement national pour l’instauration de la démocratie, différent du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie, Ndlr), puisque l’Union des populations du Cameroun (Upc) était interdite en France.

C’est donc après toute cette expérience que, rentré au Cameroun en 1981, où il devient difficile de faire la politique ailleurs qu’au sein du parti au pouvoir (Unc, Ndlr). Dès lors, la chose la plus indiquée pour moi c’est de m’occuper de ma profession d’architecte. Lorsque je rentre, c’est pour enseigner à l’Ecole nationale polytechnique (Ensp). La direction de cette école avait été mise au courant qu’après mes études d’architecte, j’enseignais dans une école spécialisée en France. Ils m’ont donc sollicité pour revenir au Cameroun. Je dois en partir 02 ans après, mais pas définitivement, car j’y suis resté à temps partiel jusqu’à ce jour.
Vous n’avez toujours pas parlé de votre départ de l’Udc…

J’en viens. De 1981 à 1990, j’ai dû mettre sous le boisseau tout ce que je pouvais avoir comme activité politique, car le contexte n’était pas indiqué. Vous savez bien tout ce qu’il y a eu ici vers 1976 : d’anciens camarades ont été inquiétés et même incarcérés. La chape de plomb était encore là, pesante. Il fallait faire avec. Mais, à la faveur des bouleversements politiques des années 90, je me suis mis à chercher une nouvelle voie.

Mutations : Pourquoi n’avoir pas choisi de militer au sein de l’Upc ?

J’aurais pu en effet choisir ce parti, mais j’ai vite compris qu’il y avait des problèmes de réorganisation et de déviation idéologique en son sein. La preuve, c’est qu’aujourd’hui, on en est encore à rechercher son unité. J’ai donc repris mon observation attentive de la scène politique nationale, pour voir quel était le parti qui correspondait le mieux – ou du moins en partie – à ma façon de voir la chose politique. A l’Udc, on parlait d’éthique, de transparence dans la gestion politique. Séduit par ce programme, je suis allé y militer. Le Dr Adamou Ndam Njoya, lorsqu’il était ministre de l’Education nationale, avait tenu le langage de l’excellence… C’est tout ceci qui a fondé mon engagement dans ce parti. J’y suis resté longtemps, peut-être un peu trop longtemps. Lorsque je me suis aperçu que la gestion interne du parti ne correspondait plus à ma vision, j’ai dû m’en aller.

Mutations : PPouvez-vous être plus précis ?

Ce qui a d’abord éveillé mon attention, c’était la démission de cadres de très haut niveau de l’Udc. Je peux citer le Pr. Kangue Ewané, Thaddeus Menang, Kadri Yaya, feu le Dr Matthieu Tagny, Me Harissou… Beaucoup de camarades qui ont décidé de claquer la porte. A l’époque, j’en ai discuté avec le président Ndam Njoya, et il ne semblait pas inquiété outre mesure par cette hémorragie. J’ai senti qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas.
Je dois ajouter que, lors des élections législatives de 2007, la composition des différentes listes sur le territoire national nous a posé des problèmes. J’étais secrétaire national à la communication du parti et, je ne peux pas le nier, très proche collaborateur du président Ndam. J’avais appris, par d’autres membres du parti, que la composition de notre liste à Foumban posait des problèmes. J’ai essayé de savoir pourquoi, et on m’a dit que c’est Mme Ndam Njoya, qui devait conduire la liste Udc dans le département du Noun. Je n’y ai pas cru. J’étais même persuadé que ceux qui le disaient menaient une campagne d’intoxication pour nuire au parti. Quelle ne fut ma désagréable surprise lorsque, quelques plus tard, je réalisai qu’ils avaient raison. J’avais donc été tenu à l’écart de cette opération. J’ai accepté, malgré moi, cette situation car il me fallait mener la campagne en tant que responsable du parti.

Mutations : Mais vous n’aviez pas toujours démissionné...

J’ai à nouveau été surpris, le jour de la rentrée parlementaire qui a suivi, de ne pas être invité comme d’habitude puisque j’étais chargé de la communication du parti. J’ai compris que là, il y avait un sérieux problème et qu’il fallait réfléchir à cette nouvelle donne. Je suis resté silencieux un moment, et je n’ai été ni convoqué ni consulté par le président national pour savoir quel était l’objet de mon silence. Alors, avec toute l’expérience de mon passé politique et de militant que je viens de raconter, vous comprenez bien que cela devenait difficile de continuer au sein de l’Udc.

Mutations : On ne vous a pas beaucoup entendu après l’élection présidentielle. Pourquoi ? Et serez-vous candidat aux élections législatives ?

Lorsque nous créons, avec quelques camarades, le Mouvement citoyen (le Moci), c’est dans l’intention de faire la politique autrement. Lorsque vous me posez la question de savoir si le Moci ira aux élections, je vous dis a priori oui. Nous ne sommes pas allés à l’élection présidentielle parce que les conditions n’étaient pas réunies pour que ce scrutin soit transparent. Nous l’avons dit, et la majorité des partis politiques ont soulevé des préalables, des conditions pour pouvoir y participer. J’ai été surpris, mais a moitié seulement, lorsque l’on a annoncé la date de l’élection présidentielle, que la majorité des partis politiques de l’opposition est allée déposer les dossiers pour participer à ces élections. J’ai ainsi eu la confirmation d’un déficit de culture politique chez la majorité de nos hommes politiques.

Pour en revenir à votre question, si les conditions sont réunies pour que les élections soient transparentes, le Moci ira aux prochaines élections municipales et législatives.

Mutations : La refonte des listes électorales, qui venait d’être décidée, c’est déjà un signe pour vous ?La refonte des listes électorales un signe positif. J’ai écrit au chef de l’Etat, à l’occasion de son anniversaire qui a lieu le 13 février 2012, pour lui donner notre point de vue à ce sujet. C’est un pas décisif, mais ce n’est pas encore assez. Surtout s’il a envie de rester dans l’Histoire comme celui qui aura apporté la démocratie au Cameroun.

Mutations : Sur l’échiquier politique camerounais, le Moci se positionne-t-il au centre, à gauche, à droite ? Quels sont les rapports que vous entretenez avec le Rdpc et notamment avec son président national, Paul Biya ?

Je ne veux pas qu’il y ait d’équivoque. Je vous dis que j’ai écrit au président Paul Biya pour lui dire que la refonte est une bonne chose, mais que ce n’était qu’un premier pas, et un pas insuffisant pour qu’il y ait des élections transparentes au Cameroun. Il n’y a pas d’accointance possible avec le Rdpc. J’ai toujours pris soin, dans ma longue carrière politique, d’avoir le minimum de personnes contre moi. C’est très important en politique. A la limite, qu’ils n’aient pas d’avis sur vous. Je discute par exemple avec les Pr. Augustin Kontchou Komegni, Maurice Kamto, Luc Sindjoun qui sont tous des frères. Mais on n’est pas du même bord politique. Ils ont choisi leur camp, et moi j’ai choisi le mien. Et j’y reste.

Sur la déclaration du «G7» du 15 octobre 2011, vous vous êtes contenté de condamner un appel diffus des Camerounais à descendre dans la rue, alors qu’il y avait un appel pour l’amélioration du système électoral. Pourquoi n’avez-vous pas soutenu cet aspect des choses?

Tout simplement parce qu’il y a eu une position commune de la majorité des partis politiques de l’opposition pour n’aller à l’élection du 09 octobre 2011 qu’à condition que certains préalables soient levés. J’avais adhéré à cette position-là. C’est donc d’abord à ces leaders politiques qu’il faut demander pourquoi ils ont changé d’avis, alors que les préalables n’étaient pas levés. Le Moci, quant à lui, avait décidé de boycotter la présidentielle. A partir de l’Adn du Moci, de mon histoire personnelle, de l’idée que je me fais de la politique, nous ne pouvions pas aller à cette élection. Je vous ai dit quelque chose d’important : un homme politique, lorsqu’il est convaincu de son analyse, ne doit pas faire certaines concessions. Et puis, si je devais faire certaines concessions, je les aurai faites depuis.

Mutations : Vous partagez la même ville de naissance avec Maurice Kamto, qui est sorti du gouvernement de la manière dont vous connaissez. Quels sont vos rapports avec lui, et qu’est-ce que vous pensez de sa sortie du gouvernement?

Je dois vous dire que je connais le Pr. Maurice Kamto depuis le plus bas âge. Et on pourrait dire, comme on dit chez nous, qu’on est de la même famille. Il en est de même pour le Pr. Luc Sindjoun. Ce sont tous mes petits frères. Nous sommes tous du même village et nous faisons tous de la politique. Pour ce qui du Pr. Kamto, j’ai appris sa démission comme tout le monde par les médias. On n’en a pas encore discuté. Je pense tout simplement que c’est parce que, lorsqu’il est rentré au gouvernement, on n’en avait pas discuté non plus. Nous nous connaissons sur le plan politique. Le Pr. Kamto sait que je suis de l’opposition. Je pense que c’est pour cette raison que je n’ai pas été dans ses confidences, lorsqu’il a décidé de rentrer ou de quitter le gouvernement.

Mutations : Vous n’avez toujours pas dit ce que vous pensez de sa sortie du gouvernement…
Je vous ai répondu, et je ne souhaite pas m’étendre outre mesure sur la question.

Mutations : Vous êtes très impliqué dans l’organisation des obsèques du maire de Baham, qui a été assassiné, et certains pensent que c’est un acte politique. Vous qui l’avez connu et qui êtes un notable à Baham, êtes-vous du même avis ?

Je dois vous dire que je connaissais personnellement le maire de Baham assassiné. J’ai eu beaucoup de peine, comme tout le peuple Baham, lorsque j’ai appris son assassinat. Et je l’ai appris très vite et très tôt. Celui qui ne connaît pas l’histoire du peuple baham ne peut pas comprendre. Les rivalités politiques sont souvent fratricides. Surtout lorsque ça se passe au sein d’un même parti. Ce qui ne devrait pas être le cas. Qu’ils combattent les opposants est compréhensible, mais que ce soit au sein d’un même parti qu’il y a tant d’intolérance est surprenant, puisqu’ils disent avoir les mêmes idéaux. Et je peux vous dire que j’ai eu très peur lorsque j’ai, récemment, discuté avec certains hommes politiques de Baham. Je peux vous avouer que ce sont des rivalités politiques qui atteignent un niveau inquiétant. Je ne sais pas si ce sont les gens de Baham qui ont tué leur maire. Il a été assassiné. Par qui ? Les enquêtes nous le diront.

Mutations : Selon l’Acdic, le Cameroun aurait importé 545.000t de riz en 2011 pour 145 milliards de FCfa. En 2010, on avait déjà importé 350.000t. La relance de l’agriculture est-elle possible avec autant d’importations ?

C’est un problème de dépendance économique de notre pays. Ce qui nous arrive, avec les importations massives, est une des conséquences de notre colonisation et du système libéral. Voyez-vous, nous avons des terres cultivables, des semences mais nous appelons des entreprises étrangères pour venir cultiver ces terres. Nous devenons ainsi dépendants de l’extérieur pour nous nourrir. Tant que nous n’aurons pas pris le chemin d’une indépendance économique, nous nous trouverons toujours dans cette situation parce que les intérêts du peuple, qui seraient qu’on ait beaucoup de riz, que l’on cultive du riz, ne sont pas les mêmes que les intérêts de certains de nos dirigeants.

Mutations : Vous accusez le colonialisme, qui est à l’origine de tout cela. Ce ne sont pas les ex-colons qui ont demandé que nous fermions la Sodemriz de Santchou, par exemple…

Ce ne sont pas les colons qui ont tué Lumumba ou Sankara ? Nous sommes dans une dépendance économique parce ce qu’il y a la main de certains pays qui manipulent certains de nos frères, qui sont au pouvoir. Voilà la vérité !

Mutations : Quelle est donc la solution pour pallier cette dépendance économique ?

Avec la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui, cela devient à la fois difficile et facile. Si nous ne sommes pas gouvernés par des patriotes, la voie de l’indépendance économique est extrêmement difficile. Il faudrait des partis politiques qui aient la même vision que le Moci, pour que les choses changent. Il faudrait des hommes politiques qui ne soient pas des girouettes à la solde des puissances extérieures. J’insiste sur ce dernier point, car ces puissances ont toujours man?uvré pour contrôler les dirigeants africains. Ceux d’entre ces derniers qui ont exprimé certaines velléités d’indépendance ont été liquidés. C’est ça qu’il faut expliquer aux jeunes Camerounais, parce que la majorité des aînés comprend ce qui se passe.

Prenez l’exemple de la monnaie : comment vous voulez être indépendants si vous n’avez pas votre monnaie propre ? Ce n’est pas possible ! Et tous les économistes patriotes africains le démontrent tous les jours. Mais certains de nos dirigeants continuent de penser que l’on peut être indépendant avec la monnaie de l’autre.
La Guinée Conakry a sa monnaie, le Congo-Kinshasa a sa monnaie, mais ils ne sont pas pour autant à envier…
Pouvez-vous me citer un pays émergent qui n’a pas sa monnaie ? Le problème de gestion est sans doute la cause de la faillite des cas que vous venez de citer. Regardez par exemple comment les élections sont organisées au Congo-Kinshasa en Guinée Conakry. Ce n’est pas un problème de monnaie. Le Maroc, l’Algérie, le Brésil, la Chine, l’Inde ont chacun sa monnaie. Il n’y a pas un seul pays qui puisse prétendre à l’émergence s’il n’a pas sa monnaie.
Parlant d’émergence, le Cameroun souhaite être émergent en 2035. Pour vous, c’est une incantation ou une possibilité ?
(Sourire). Je pense qu’il va être difficile, pour notre pays, d’être émergent si nous continuons à progresser dans le circuit de l’importation de ce que nous mangeons. Observez les leaders politiques, moi compris, qui veulent succéder au président actuel de la République : ils n’ont pas de programme économique conséquent ! Ils n’ont pas de directive fondamentale qui diffère d’avec ce qui se fait actuellement. Quel est l’homme politique qui a dit qu’il va remettre en cause les conditions de privatisation des secteurs vitaux de notre économie ? Aucun.

Mutations : Le président Biya a annoncé, dans son discours du 31 décembre 20111, qu’il va transformer le Cameroun en un «vaste chantier». Nous sommes en février et il n’y a pas toujours de chantier. Pourtant il a lancé un programme de réhabilitation des routes. Vous pensez qu’il va aboutir ?

Je crois que tous les discours du président de la République sont émaillés de très bonnes intentions. Refaire les routes, ce n’est pas une mauvaise chose. Construire des logements, c’est une bonne chose. Mais je dis que je suis sceptique. Nous sommes en février, et je ne vois pas toujours pas de «grands chantiers». Lorsqu’on prend les projets structurants, prenez le port en eau profonde de Kribi : il est censé générer près de 40.000 emplois. Si vous prenez 40.000 travailleurs, chefs de famille, ça veut dire que derrière ces chefs de famille, il y a en moyenne 05 personnes qui vivent grâce à eux. Et ça fait 200.000 personnes qui devraient se retrouver à Kribi. Mais où vont-elles habiter ? Il faudra les loger, il faut des écoles, des dispensaires… Il faut une ville plus grande que Kribi. Mais personne n’en parle. Je ne dois quand même pas être le seul à y penser !

Prenez le cas de la construction des 10.000 logements. Voilà 03 ans qu’on est derrière ce projet. Et vous voyez qu’il n’avance pas beaucoup : les études ont été mal faites dès le départ. Et je peux vous dire, en tant que technicien, qu’on n’y arrivera pas parce qu’il y a des domaines ou on ne triche pas.
C’est quoi, un logement social ?
C’est un logement pour les plus démunis, ça veut dire ceux qui ont le Smig (salaire minimum interprofessionnel garanti), mais aussi ceux qui sont dans l’informel et qui n’ont pas 30.000 francs de revenus. C’est à eux que doivent être destinés les logements sociaux. Les logements qui ont été construits en Mfandena (Yaoundé) coûtent entre 30 et 35 millions de francs. Quel est le pauvre qui va réussir à accéder à ce type de «logement social» ? Qui, parmi les leaders d’opinion, a déjà pu dire que ce ne sont pas des logements sociaux ? Aucun parti politique ne l’a dénoncé. Le Moci est presque à la fin de l’élaboration de son projet de société. C’est un document d’à peu près à 140 pages, dans lequel on présente notre vison de la société.

Mutations : Ce n’est que le 16 février qu’a été présenté le plan directeur d’urbanisme de Douala. Comment fera-t-on pour rattraper l’occupation anarchique de l’espace de cette ville, qui est plus de deux fois millionnaire en terme de démographie ?

La ville est la traduction dans l’espace des structures sociales. Si les structures sociales sont malades, la ville sera malade. La ville n’est pas malade parce qu’elle est une ville ; c’est parce qu’elle est la traduction dans l’espace d’une société malade. Pour qu’une ville ait un fonctionnement cohérent, il faut qu’il y ait des plans d’urbanisme. Un plan d’urbanisme, c’est un ensemble de documents graphiques, de documents écrits. Et tous ces plans doivent être faits par des urbanistes qui connaissent le milieu. Une fois que ces plans sont faits, on les soumet à l’avis des populations. C’est ce qui se fait dans une démocratie.

Mutations : Que pensez-vous des initiatives et des mesures prises jusqu’ici par le délégué du gouvernement pour embellir la ville de Yaoundé?

Commençons par un exemple. Prenez le Boulevard du 20 mai. Lorsque je rentre au Cameroun, je vois qu’on veut enterrer la rivière Mfoundi. Quand je suis à Paris, je vais sur les berges de la Seine. Vous voulez enterrer le seul cours d’eau qui traverse la ville ? Les techniciens français qui y travaillent alors me répondent que ce sera plus propre d’enterrer le Mfoundi. Ils l’ont fait. Aucune des autorités camerounaises ne les en a empêché. Aujourd’hui, on voit tous les problèmes que cela pose.

Un autre exemple, et peut-être ne le savez-vous pas, mais le Boulevard du 20 mai ne s’arrête pas à Warda. Dans le plan de la ville, il doit continuer, rejoindre la Nouvelle route Bastos jusqu’à l’Avenue Jean Paul II. Or, c’est à Warda qu’on a décidé de construire le Bois Sainte Anastasie, qui n’est sur aucun plan. Le Palais des sports, n’existe non plus sur aucun plan d’urbanisme. Demain, pour prolonger le Boulevard du 20 mai, il faudra détruire ces équipements urbains. Donc, dire qu’il y a embellissement de la ville de Yaoundé me semble être un peu exagéré. De plus, le développement d’une ville incombe d’abord aux maires qui sont élus, qui reçoivent directement leur mandat du peuple auquel ils rendent compte et qui peut les sanctionner directement. Si le délégué du gouvernement est le super-maire de la ville, la fonction de maire, et donc de super-maire, est de construire des écoles, des crèches, des dispensaires… Vous en avez vu qu’ils ont été construits à Yaoundé ? Où allons-nous envoyer nos enfants fréquente r? Pas dans les marchés et les boutiques, tout de même ! En tant qu’urbaniste et leader politique, je suis obligé de dénoncer cela.

Mutations : Quelle est l’offre en matière d’habitat social au Cameroun ? Quelle est la demande ?

C’est très simple : on a 20 millions d’habitants, et on estime que la moitié de la population camerounaise est urbaine. Si vous avez 10 millions d’habitants qui vivent en zone urbaine, si vous prenez une moyenne de 05 personnes par famille, cela fait 02 millions de familles. La demande de logements urbains, de façon globale, est donc d’à peu près 02 millions. En sachant que les riches ne représentent que 20% de la population, cela fait un minimum de 1,5 million de logements sociaux dont le pays a besoin en zone urbaine. Et qu’il faudrait construire.

Mutations : Mais construire où ?

La loi foncière de 1974, de par certaines dispositions pernicieuses, a permis à une minorité de Camerounais de s’approprier toute, ou presque toute la réserve foncière qui aurait dû revenir à l’Etat. Parce que, à un moment donné, des personnes ont rassemblé le pouvoir économique, le pouvoir politique et même le pouvoir traditionnel. Ces personnes en ont profité pour s’emparer d’importantes réserves foncières. Ça veut dire que, maintenant, si l’Etat veut investir dans le logement social, il faut racheter des terrains. Et c’est un frein pour la construction des logements sociaux parce qu’ils vont coûter plus cher.

Mutations : Que vous inspire l’«affaire Vanessa Tchatchou» ?L’affaire Vanessa est tragique parce que la ténacité de cette fille a révélé un pan de notre société qui était méconnu de la majorité des Camerounais. Parce que cet enfant est né en août 2011 et ce n’est que le mois dernier, parce que certains compatriotes en ont fait une affaire publique qu’on en parle. Cela traduit une déviation sociale qui peut détruire une société. Dans la tradition, lorsqu’un enfant arrivait au monde, c’était l’enfant de tout le monde. Il n’y avait pas d’enfant à adopter. Mais on a envoyé tous nos enfants apprendre, faire leurs études à l’étranger. Et c’est normal qu’ils reviennent ici avec des comportements qu’ils ont eu à adopter là-bas. Dans une famille africaine, même si vous n’avez pas d’enfant, votre s?ur en a et, si vous avez des moyens, vous l’aidez à l’élever. Sur le cas de Vanessa, le chef de l’Etat a instruit des enquêtes, on attend. Mais on n’aurait pas dû en arriver là. Si des personnes se sentent coupables, à la limite on peut pardonner parce la volonté d’avoir un enfant a été tellement forte. Mais il faut remettre cet enfant à sa maman.

Mutations : Qu’est ce que le Moci fait pour y parvenir ?

Nous avons fait des communiqués, nous sommes en rapport étroit avec certaines personnes qui s’occupent de très près de cette affaire. Dans l’adresse du président du Moci au président de la République dont je vous ai parlé, il est question de l’affaire Vanessa. Nous menons des actions en collaboration avec ceux qui sont impliqués de près dans cette affaire. Nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin, parce que nous espérons que cette maman va retrouver son bébé.
Tout à l’heure, vous disiez que vous prépariez un document sur votre vision, celle de votre parti : qu’elle est la place de la culture dans le Moci ?
La culture est l’âme d’une nation. C’est l’âme d’un peuple et lorsque, dans n’importe quel pays, vous vous apercevez que le secteur de la culture est abandonné, vous pouvez être sûr que des histoires comme l’affaire Vanessa sont à la porte.

Prenons le secteur visible de la culture (danse, chant, la sculpture, peinture, vannerie…). Où sont les écoles de danse au Cameroun ? où sont les écoles de sculpture ? où sont les écoles de musique ? Les artistes essayent de s’organiser, mais n’y arrivent pas. Il y a des problèmes politiques qui interviennent, et pas dans le sens d’améliorer leur situation mais plutôt de détruire des carrières. L’affaire des opérateurs de téléphonie mobile et des musiciens est, par exemple, incroyable. Comment expliquer que les musiciens soient là en train de supplier qu’on leur paie leurs droits ! Ça ne devait même pas être une doléance ; c’est une exigence. Ces opérateurs doivent payer ces droits dans les meilleurs délais. Il faut bien que les pouvoirs publics prennent une décision. Si les opérateurs de téléphonie se sentent protégés, ils ne paieront jamais et ce sont des milliards de francs qui pourraient construire des écoles de danse, de musique…

Regardez le bâtiment qui abrite les Archives nationales, qui constituent l’histoire du Cameroun. Voyez-vous dans quel état il est ? Il suffirait d’une étincelle et tout brûle, et tout est parti. J’ai soulevé ce problème plusieurs fois dans d’autres cadres. C’est comme si certaines personnalités du gouvernement ne sont pas seulement insensibles aux problèmes du Cameroun : elles paraissent étrangères à ce pays. Comment peut-on accepter l’idée que les archives nationales puissent être aussi exposées dans un bâtiment en partie en bois ? Le Cameroun mérite certainement un meilleur sort, et c’est la mission essentielle du Moci.

ADS

 

Lire aussi : Ce que pense Maurice Kamto du tribalisme au Cameroun
Lire aussi : Abdouraman Hamadou Babba : «Le Président du Conseil constitutionnel, est obligé d'expliquer pourquoi le Président de la République veut prolonger le mandat des députés»
Lire aussi : L’honorable Nourane Fotsing appelle à la libération de Bibou Nissack le porte parole de Maurice Kamto

ADS

ADS

Les plus récents

Rechercher un article

ADS

ADS