Cameroun - Réligion. Essiakou El hadj Saliou:J’ai perdu trois de mes co-chambriers

Mutations Lundi le 26 Octobre 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Pélérin, le délégué régional de la Communication du Nord revient ce qui s’est passé le 24 septembre dernier à Mina. A ce jour, on dénombre plus d’une centaine de morts côté camerounais.

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Le rescapé de la tragédie de Zamarate dénonce l’indiscipline des pèlerins, la passivité des forces de l’ordre saoudiennes. Il pense qu’il est temps d’envisager la privatisation de la commission nationale du Hajj.

 

Dans quel état d’esprit avez-vous foulé le sol de la terre natale de retour de la Mecque?

Au moment où je foule le sol de l’aéroport international de Garoua, j’avoue que j’étais un homme à la fois heureux comblé mais aussi affecté par une amertume et résolument tourné vers Dieu. Heureux d’avoir retrouvé le pays natal après tout ce que nous avons subi dans la vallée de Mina en Arabie Saoudite, à savoir la bousculade, la mort que j’ai vue en face de moi et qui n’a pas pu m’emporter tout simplement parce que Dieu a décidé qu’il me reste encore des jours sur terre. Ceux qui étaient dans la bousculade comme moi et qui ont survécu ne le sont  ni parce qu’ils sont forts, intelligents ou ingénieux. Seule la volonté divine s’est manifestée car tous les ingrédients qui conduisent à la mort étaient réunis. J’étais aussi comblé lorsque j’ai vu les personnes de toutes les catégories socio-professionnelles, ma famille, mes amis, mes collègues et collaborateurs, qui sont venues en masse nous accueillir. J’allais dire accueillir les rescapés de la tragédie de Zamarate à une heure si avancée de la nuit. Je remercie tous et chacun et particulièrement les hommes des médias qui n’ont cessé de chercher à avoir des nouvelles des Camerounais pendant et après la tragédie de Mina.



Par ailleurs, à mon arrivée à Garoua, j’étais également très affecté par une sorte de solitude comparativement à notre départ. En effet, il y a un mois, nous étions un groupe d’amis de circonstance de cinq personnes constitué par notre encadreur Mme Abakar Ahamat épouse Aissatou Ladi, parce que disait-elle : «ces groupes sont formés pour permettre aux uns et aux autres de s’entendre, de collaborer  afin de faciliter les travaux». Et pendant tout notre séjour en terre sainte, nous avons gardé cette bonne collaboration à la mosquée comme dans notre chambre d’hôtel. Malheureusement la bousculade meurtrière de Mina nous a séparé et à jamais. Ca fait mal et très mal d’ailleurs au point où les confrères ont constaté que j’étais en larmes. J’ai perdu trois des mes co-chambriers, de mes compagnons de prière et même de pause-café. C’est difficile!

Une journée de deuil national, une célébration interreligieuse en mémoire des disparus. Certainement que d’autres activités suivront. Qu’est-ce que ça vous fait?

Nous avons salué cet acte de réconfort. C’est très réconfortant de savoir que le Chef de l’Etat et l’ensemble des Camerounais partagent nos peines, celles des affectés et celles de ceux qui ont survécu. Cette journée de deuil national a permis de faire des prières collectives et individuelles pour le repos des âmes des disparus, mais aussi des prières de prompt guérison pour les blessés et les affectés. Sans oublier les disparus pour le retour au pays et dans leurs

familles respectives en vie et en santé. C’est encore plus difficile pour cette catégorie car nous ne pouvons pas décréter leur mort puisqu’on n’a pas encore la certitude et ils nous manquent et manquent à leurs familles. Nous avons aussi apprécié à sa juste valeur l’attitude des Camerounais de toutes les obédiences religieuses, qui visiblement sont touchés par ce qui est arrivé aux musulmans. C’est un autre point de gagné pour l’œcuménisme,  pour l’unité nationale et la solidarité entre les Camerounais.

Parlant du drame de Mina, que s’est-il réellement passé, le 24 septembre dernier?

Ce qui s’est réellement passé à Mina est la manifestation de l’indiscipline des pèlerins et la routine chez les organisateurs. En effet, à mi-parcours du trajet menant à Zamarate, où la lapidation des Stèles a lieu, nous avons remarqué que les groupes se resserrent et la tension monte de plus en plus dans les rangs. A cela, il faut ajouter la forte canicule qui visiblement a facilité la déshydratation des pèlerins. En plus, ceux qui étaient devant nous n’avançaient plus et ceux qui étaient derrière nous acculaient. A un certain moment, il n’y avait plus d’espace pour des milliers de pèlerins qui se sont retrouvés sur ce tronçon au même moment. Mais à la base, il faut relever l’attitude de certains pèlerins qui voulaient à tout prix revenir par le chemin « aller ». Une situation qui a poussé les forces de l’ordre saoudiennes à fermer le passage. Toutes les conditions étaient réunies pour que les pèlerins se bousculent, se marchent dessus et surtout se compressent au point où certains sont mort asphyxiés, piétinés parce que tombés. Et quiconque tombe à ce genre d’occasion est sûr de perdre la vie. La canicule aidant et l’absence de l’oxygène sur les lieux, certains corps ont immédiatement commencé à se décomposer.

Avec qui étiez-vous sur les lieux?

Nous étions de ceux des pèlerins qui ont pris le chemin de Zamarate à 10 h. Trois régions du Cameroun étaient effectivement sur les lieux. Il s’agit des pèlerins de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord. A la tête de chaque région, il y avait le tricolore national. C’est un repère pour les pèlerins qui pour quelques raisons que ce soit peuvent s’égarer. Des drapeaux malheureusement tombés pendant la bousculade. Les plus forts et bien situés avec nos encadreurs  ont tout fait pour protéger les femmes et les malades. Nous nous sommes beaucoup battus et nous avons surtout beaucoup prié. Personnellement je dirai que j’ai eu la vie sauve grâce à ces prières parce qu’à un certain moment je n’avais plus de force pour escalader ou grimper les tentes comme certains et j’avais surtout mon pied gauche coincé entre les corps. Ceux avec qui j’étais dans cette situation, notamment le colonel Abacahi, Ali Mohaman de la Cnps et Younous, jeune cadre en service au port en eau profonde de Kribi ont disparu. Seul le corps de Ali Mohaman, plus connu sous le nom de Labarang, a été retrouvé à travers une photo prise avant l’enterrement. Les deux autres sont jusqu’à ce jour introuvables et considérés comme disparus. La Commission nationale du Hajj et les encadreurs seuls peuvent vous dire avec exactitude le nombre des disparus et des morts par groupe.

Quel a été votre sentiment à ce moment-là?

J’ai essayé de résister et même de demander le secours de mon co-chambrier le Col. Abacahi. Mais je me suis rendu très vite à l’évidence lorsque je l’ai vu fatigué et affaibli. Il tenait à peine debout. J’étais aussi étonné par l’attitude des forces de l’ordre saoudienne

en place à ce moment. Ils étaient au début restés spectateurs. La seule action menée était d’interdire l’accès à qui que ce soit de pénétrer le camp des pèlerins arabes. Un camp qui pourtant pouvait servir de secours et permettre de sauver plusieurs vies humaines. A

l’analyse nous pouvons dire que les forces qui y étaient n’étaient habilitées ou préparées à un tel évènement. C’est par la suite que les interventions de toutes sortes sont arrivées. Hélas trop tard.

Les dirigeants saoudiens ont tenu des propos pas cordiaux à l’endroit des Africains. Les avez-vous entendues?

Au moment de l’action nous n’avions pas les oreilles aux déclarations mais attendions plus le secours. Cependant ce dont nous pouvons être d’accord avec les autorités saoudiennes ce qu’il y avait de l’indiscipline dans les rangs des pèlerins et cette indiscipline n’avait pas une coloration raciale. On ne peut dire que ce sont les Africains seuls qui étaient à l’origine de la tragédie. Au contraire, ils ont été plus des victimes. Victimes des actes de provocation des pèlerins turcs et iraniens.

Comment se sont-ils comportés dans la gestion de cette catastrophe?

Au début, la seule action menée était de compliquer la situation aux pèlerins en détresse. On aurait dû ouvrir des issues de secours. Malheureusement ce qui n’a pas été fait. Mais par la suite, on a vu un nombre important des structures de secours avec des éléments très professionnels, un secours aérien pédestre et motorisé. On a assisté à un ballet interminable des secouristes du « croissant lunaire » dans le ramassage des corps et surtout l’aide apportée aux accidentés. Il faut aussi préciser qu’il n’y avait pas que les autorités et responsables saoudiens pour la gestion du secours. Les pèlerins eux-mêmes se mêlés et ont apporté une contribution appréciable dans la gestion de cette catastrophe.

Le drame survient à quelle phase du pèlerinage?

La première lapidation des stèles intervient à un moment crucial des travaux du Hajj, c’est à dire au lendemain de la montée du Mont Arafat et de la veillée de Mouzdalifa, ce qui correspond au jour de la fête de l’Aid ou la fête de mouton pour ceux qui ne sont pas en pèlerinage. C’est en fait un grand moment puisque c’est après cette première lapidation que le pèlerin doit aller à la Mecque pour les tours de la « Kaaba», faire sa toilette et ôter sa tenue sacrée. Mais beaucoup sont morts dans cette tenue sacrée. Bien qu’important, on peut déléguer quelqu’un pour accomplir cet acte. C’est ce que beaucoup ont fait, surtout les malades et les vieux à la suite de la tragédie.

Son déroulement a-t-il été perturbé?

Le déroulement du pèlerinage a été bien perturbé. Beaucoup ont pris peur et évitent de se mêler à une grande foule. Ceux qui pouvaient personnellement effectuer leur lapidation ont opté pour les délégations. Mais quelques heures après la tragédie, les autorités saoudiennes ont pris des dispositions pour faciliter cette activité. Subitement, les routes ont été dégagées, la circulation fluide et surtout le climat devenu plus doux à cause des systèmes de climatisation automatique et à motricité humaine installés le long du parcours.

S’est-il achevé en queue de poisson?

Non.  Il y a eu la deuxième et la troisième lapidation et beaucoup ont accompli leurs devoirs. D’ailleurs quelques heures après la tragédie, aux environs de 14h, moi-même j’ai été effectuer ma première lapidation à l’issue de laquelle j’ai pris un bon repos près des stèles pour me refaire la mémoire et surtout entrer en contact avec ma famille au Cameroun pour leur dire que je suis sain et sauf et surtout informer les autres sur la situation que je n’ai pas manqué de décrire.

Comment avez-vous occupé le temps qui vous séparait du retour au bercail?

C’était le plus difficile. Mais, malgré la fatigue et les autres maux, nous partions tous les jours à la grande mosquée de la Mecque pour les prières quotidiennes et surtout pour rendre gloire à Dieu de nous avoir sauvé de cette tragédie. Nous nous sommes aussi occupés à rechercher nos frères disparus dans les hôpitaux et les morgues. C’est à travers cet exercice que les encadreurs ont retrouvé la photo de Ali Mohaman, qui certifie sa mort lors de la bousculade. Il fallait aussi consoler les membres des familles qui sont en Arabie Saoudite ou restés au Cameroun à travers le téléphone qui ne cesse de sonner. A cela il faut ajouter les derniers achats et surtout le temps passé à peser les bagages et à contrôler les kilos.

Avez-vous laissé certains pèlerins en Arabie Saoudite?

Oui. Nous étions de la deuxième vague donc forcement on a laissé  beaucoup de pèlerins à la Mecque attendant leur tour. On a surtout laissé les compagnons classés dans le registre des disparus avec l’espoir qu’ils nous reviendront.

Avec cette hécatombe, faut-il changer l’ordonnancement du déroulement du pèlerinage?

Il n’y a rien à changer. Il y a plutôt l’organisation à parfaire. Le comité saoudien d’organisation doit prendre en compte les suggestions des uns et des autres  et surtout éviter la routine. Il faut une bonne circulation de l’information et une franche collaboration avec les commissions nationales ou les agences de tourisme responsables de l’organisation du Hajj dans les différents pays. Il faut revoir la gestion de l’alimentation des pèlerins. En tout pour les Camerounais qui y étaient cette année et qui ont déboursé de l’argent pour leur alimentation, c’était la catastrophe. On nous a servi du riz du 1er au 31.

La ruée vers l’Arabie Saoudite pour participer au pèlerinage prendra-t-elle un coup?

Certainement pas. Ceux qui sont déjà au bercail pensent au prochain Hajj avec l’espoir de s’y rendre encore. Cependant le principe de quota doit être de mise. En attendant que les travaux  d’extension des sites du Hajj finissent.

 

Que faut-il retenir de tout cela?

La discipline doit être le cheval de bataille des organisateurs tant du côté de l’Arabie Saoudite que du côté des différents pays. Les travaux du Hajj ne sont pas une compétition où on va déterminer un premier et un dernier. Chacun doit attendre son tour puisqu’on ne laissera personne et suivre les instructions à la lettre. Au Cameroun, il faut intensifier les séminaires de formation des encadreurs pour qu’ils deviennent des véritables professionnels de tourisme avec une maîtrise des travaux du Hajj et un entregent avéré. Il faut faire la part des choses entre l’encadrement des pèlerins et les affaires. Beaucoup des encadreurs passent plus de temps à s’occuper leurs affaires qu’à guider effectivement les pèlerins. L’encadrement des pèlerins doit rester une affaire des professionnels du tourisme. La décentralisation-privatisation de la commission nationale du Hajj doit être pensée.

Propos recueillis par Priscille G. Moadougou

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