Cameroun - Sécurité. Enquête: Ces fous qui agressent dans les rues de Douala - L’éclairage de Dr Jean-Louis Jon, psychiatre

Marie-Louise Mamgué | Le Messager Mercredi le 31 Octobre 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
De plus en plus des personnes qui n’ont pas conscience de leur trouble écument les rues et ruelles de la cité économique. Certains d’entre eux s’en prennent parfois aux passants lorsqu’ils ne s’approprient pas tout simplement de force le bien d’autrui.

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Douala: Fous en errance dans les rues

De plus en plus des personnes qui n’ont pas conscience de leur trouble écument les rues et ruelles de la cité économique. Certains d’entre eux s’en prennent parfois aux passants lorsqu’ils ne s’approprient pas tout simplement de force le bien d’autrui.


1-Dangereuse cohabitation

Nous sommes au début du mois d’octobre 2012. La scène se passe au carrefour Idéal à Akwa. Une jeune étudiante vient de se voir assèner une gifle par un malade mental qui était à sa poursuite. La vingtaine à peine sonnée, elle s’écroule et telle un fauve, le fou se jette sur sa victime qu’il piétine avant que les cris des passants le dissuadent d’aller plus loin dans sa sale besogne. Une semaine plus tard, une dame qui marchait à proximité du Collège Nkuimi dans le troisième arrondissement de Douala est prise pour cible par un malade mental. Prise de panique, elle essaie de s’enfuir, est malheureusement rattrapée par l’importun qui la projette brutalement dans un caniveau. La victime s’en sortira avec une ouverture de la boîte crânienne. Des exemples de ce genre, on peut en citer à profusion, tellement il ne se passe plus de jours sans qu’un fou ne fasse l’actualité.

A Douala, on les rencontre un peu partout : au niveau du tunnel de Ndokotti, à l’échangeur de Youpwè, sur les devantures des magasins à Akwa… et dans les espaces mal entretenus. La cour de la cathédrale Saints Pierre et Paul à Bonadibong, le jardin de l'hôtel de ville à Bonanjo, le carrefour Terminus se sont érigés en repaires pour fous. « Nous nous sommes habitués à eux », affirme la tenancière d’une vente à emporter non loin de la prison de New-Bell. Ces personnes déséquilibrées ou qui présentent une psychose chronique se nourrissent des restes d’aliments tirés des poubelles. Certains, à pieds, parcourent de longues distances et se retrouvent à Buea, Limbé, Edéa ou Nkongsamba.

D'après une étude réalisée en 2001 à l'hôpital Laquintinie de Douala, 325 patients ont été hospitalisés suite à des troubles mentaux. « Une quinzaine de pathologies ont été décelées parmi lesquelles on retrouve l'hystérie, la démence sénile, la dépression, dont la plus récurrente est l'épilepsie », déclare un psychiatre. Les petites statistiques au département de psychiatrie de l’hôpital Laquintinie de Douala parlent d’une moyenne de cinq cas critiques enregistrés chaque semaine et plus de 20 cas de malades mentaux n’ayant pas les moyens de se prendre en charge. D'après le manuel « Diagnostique et statistiques des troubles mentaux » de l'Association américaine de psychiatrie , on dénombre 200 types de troubles que l'on peut classer en quatre groupes: les troubles psychotiques qui est une perte du sens de la réalité associée à des idées délirantes et des hallucinations (la schizophrénie); les troubles névrotiques basés sur des conflits intra psychiques ou des évènements de vie qui provoquent une angoisse; les troubles fonctionnels et les troubles organiques dus à un agent spécifique provoquant une modification structurelle dans le cerveau.


2-Déconcertante indifférence des pouvoirs publics

Créée le 11 décembre 2003, l'Acahm qui est une association apolitique dont l'objectif est de sensibiliser les pouvoirs publics sur la maladie tout en leur faisant prendre conscience des moyens insuffisants actuellement mis en œuvre pour le traitement avait, en son temps, déploré l'insuffisance criarde des structures d'accueil, des hôpitaux du jour, des centres de réadaptation au travail et le coût des traitements pharmacologiques très élevés. A ce jour, rien n’y a été fait. Et le constat est le même : aucune structure viable digne de ce nom, n'est capable d'accueillir, et surtout de prendre en charge les malades mentaux dans notre pays. «L’hôpital Laquintinie reste l’unique centre d’accueil pour toute la ville de Douala et même de ses environs, il faut souvent y faire un tour pour toucher des doigts la dure réalité. Le personnel soignant est débordé », déclarait Effa Saïd Saïbou, organisateur d’une action humanitaire en faveur des malades mentaux abandonnés.

Au jour d’aujourd’hui, certains psychiatres en sont à se demander pourquoi ces fous qui écument les rues ne retiennent pas, à l'instar des malades du paludisme, du Vih/Sida et bien d'autres encore, l’attention des autorités en charge de la santé publique. On se souvient que lors de la fameuse affaire de charmeurs des malades mentaux en 2003, certains malades mentaux avaient été internés, pour certains au Centre Jamot de Yaoundé, et pour d'autres à l'hôpital Laquintinie de Douala. Quelques jours après, la plupart d'entre eux étaient retournés dans la rue sans que les pouvoirs publics ne daignent réagir.

Rendu personnellement au département psychiatrique de l’hôpital Laquintinie, André Mama Fouda, appréciant les efforts fournis dans l’encadrement des malades mentaux, avait constaté qu’il était plus qu’urgent d’intégrer la prise en charge des troubles mentaux dans les soins de santé de base, comme le voulait d’ailleurs le thème de cette année : « améliorer le traitement et promouvoir la santé mentale dans les soins primaires ». Même si la volonté y est, le ministre a reconnu le contexte difficile dans lequel évolue le faible personnel du département psychiatrique, composé à l’époque de trois spécialistes, dont un médecin et deux infirmiers, selon les chiffres donnés par le Dr. Jean Louis Jon, chef de ce département. Outre le nombre réduit de spécialistes en santé mentale s’ajoute la méconnaissance des signes précurseurs des troubles mentaux, l’arrivée tardive des patients dans les structures de soins pour une prise en charge adéquate sont à déplorer. Si les encadreurs rejettent la faute sur les parents, ceux-ci à leur tour, évoquent le contexte économique difficile, qui ne facilite pas leur mobilité. « Un parent qui habite par exemple le quartier Bonabéri à Douala 4é, amène son enfant malade ici à Laquintinie pour les soins une ou deux fois, mais après ne vient plus. Quand je rencontre le parent en question, il dit qu’il a des difficultés pour se déplacer », confie un encadreur des enfants déficients mentaux. Il affirme par ailleurs que des familles incapables de contenir les violences et les comportements étranges de certains d'entre eux, ne savent plus quelles solutions prendre.



Dr Jean louis Njon: «Même les personnes normales violentent, agressent, arrachent des sacs»

Le chef du département psychiatrie à l’hôpital Laquintinie donne ici quelques pistes qui permettent de comprendre davantage le phénomène.


Quel est le risque de laisser les malades mentaux errer dans la nature ?

La plupart de ces patients sont des malades mentaux chroniques dont les familles ne peuvent plus les garder à la maison parce qu’elles sont dépassées et ne peuvent pas les prendre en charge. Et parfois ils n’ont plus de famille et c’est pour cette raison qu’ils errent complètement. Dans cette errance, c’est normalement la société qui doit les prendre en charge parce qu’ils ne savent pas qu’ils sont malades. Parler de fous c’est péjoratif. Il s’agit des personnes déséquilibrées ou qui présentent une psychose chronique. Le risque c’est d’abord pour le malade lui-même parce que abandonné dans la nature sans assistance. Dans la rue ils sont agressés et les femmes violées. Ils ne peuvent plus exprimer des demandes parce qu’ils n’ont plus de lien avec la société. Il faut les soigner et les réhabiliter. Je ne pense pas qu’ils consomment la bière plus que tout le monde. Ils ne s’alimentent pas comme les autres. Ils fouillent dans la poubelle. Le comportement est complètement disproportionné par apport à un comportement normal. Il faut les aider par apport à eux-mêmes. Nous devons aussi les aider pour nous-mêmes. Ce ne sont pas seulement les fous qui se comportent ainsi. Même les personnes normales violentent, agressent, arrachent des sacs. La violence fait partie des comportements de notre société. Tout le monde est fou et chacun à son niveau. Sommes-nous tous des modèles dans la société ? Chez les malades mentaux, il y’a ce qu’on appelle la conviction délirante. Les malades mentaux peuvent entendre et voir des choses que nous ne voyons pas. Comme dans toutes les autres maladies, il y a des symptômes et il y a des signes. Les caractéristiques de ces maladies comme des psychoses, c'est que des personnes qui souffrent de ces maladies ne savent pas qu'ils en souffrent. Vous savez que c'est notre conscience qui nous permet de nous rendre compte qu'on a mal à la tête, à la main ou au pied. Mais, lorsque, vous souffrez de votre tête, l'organe de votre jugement, vous ne pouvez plus vous juger normalement et vous perdez cette auto-critique. Et ce sont les autres qui les conduisent généralement vers les services hospitaliers. C'est vrai que dans ces maladies, il y en a encore d'autres telles que la dépression. En cas de dépression, quand même, on ne perd pas conscience de ce qu'on a la souffrance. Il y a aussi par exemple les troubles d'addiction, l'alcoolisme, la toxicomanie. On a aussi des troubles de caractère, l'autisme infantile. Plein de maladies qui sont différentes les unes des autres. Un enfant qui ne veut plus aller à l'école, alors qu'il est intelligent, on peut déjà commencer à se poser des questions. L'école ne l'intéresse plus. Souvent, la schizophrénie peut commencer de cette manière-là.


Qu’est-devenu le projet que vous avez envisagé avec la Communauté urbaine en vue de réinsérer les malades mentaux ?

La folie est une maladie qui se soigne. Dans les pays comme les Etats- Unis, la société prend en charge ses malades. Mais nous, dans notre société, c’est le patient qui doit se prendre en charge. Il faut qu’on trouve un moyen de soigner ces personnes qui ne demandent rien. On peut les prendre dans la rue pour les soigner mais qui va payer ? Nous avons un projet au niveau de la Communauté urbaine de Douala pour prendre en charge ses malades. L’Etat a commencé à octroyer des terrains pour cela. C’est un projet que nous avons à cœur et nous pensons qu’un jour nous allons le mettre sur pied.


A vous entendre, on a l'impression que l'Etat ne fait rien pour la réinsertion des malades mentaux ?

Disons que le gouvernement essaie de gérer à sa manière. Nous sommes un pays pauvre très endetté. Vous voyez que quand on vient au niveau des hôpitaux, on paie sa consultation. Mais, le malade mental ne peut pas payer. Il faudrait qu'on trouve un autre moyen. Il faudrait que le législateur arrive à ce niveau. Il faudrait trouver des financements. Si on avait la sécurité sociale, ce serait plus facile. Maintenant, comment le malade qui veut entrer à l'hôpital peut faire pour payer ses médicaments ? Comment faire pour les nourrir, les habiller ? Parce qu'ils sont comme des enfants. Il faut prendre tout en charge. Sinon, ce n'est pas possible. Vous savez, on n'est pas habitué à ce type de traitement chez nous. On les appelle des majeurs handicapés. Ils sont complètement infantilisés.

Entretien avec Marie-Louise Mamgué (Stagiaire) 

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