Cameroun - Education. Discipline à l'école: Le retour aux cheveux longs

Franklin Kamtche | Le Jour Vendredi le 14 Octobre 2016 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
De nombreux lycées et collèges avaient opté pour le crâne rasé. Mais certaines filles détestent les avantages des cheveux courts.

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Le ministère des Enseignements secondaires vient d'interdire l'exclusion des filles pour motif de longs cheveux. A l'annonce de la nouvelle, des filles ont failli s'évanouir, tant elles étaient prises de joie. « C'était d'abord quoi ? Sommes-nous de veuves ? Il était temps », pouvait-on entendre. Certaines ont poussé l'exubérance tellement loin qu'elles se sont accrochées au cou des garçons étonnés, qui ne comprenaient pas encore les tenants de la décision. Ce lundi matin, lors du rassemblement hebdomadaire au lycée bilingue de Santchou, dans la Menoua, le proviseur a annoncé que suivant des instructions de la hiérarchie, les élèves-filles ne seront plus obligées de se raser au quotidien, comme leurs camarades garçons.

Désormais, les filles qui le voudront feront des tresses de 6 à 9 nattes. Dans une lettre-circulaire signée de Laurent Kenfack, délégué départemental des Enseignements secondaires pour la Menoua, et qui dit rappeler des instructions de son délégué régional, on peut en effet lire : « la coupe systématique de cheveux chez les filles n'est encadrée par aucun texte officiel ; par conséquent vous veillerez tout simplement à ce que celles-ci se fassent des tresses ou des nattes non extravagantes sans utilisation ni des mèches ni des perruques ». Pendant que les demoiselles rient de l'ancienne mesure qui relève désormais du passé, les garçons trouvent discriminatoire qu'on ne les laisse pas aussi choisir leurs coupes de cheveux. L'administration scolaire est avare d'explications. « C'est une instruction de la hiérarchie qu'on va appliquer et rendre compte », se contente d'esquiver un surveillant général.


Pratique anglophone


L'année dernière déjà, une note ministérielle demandait à la communauté éducative, à travers le conseil d'établissement, de statuer sur la forme à donner aux cheveux des enfants. Cet avis n'est plus requis. Les défenseurs des droits de la femme y trouvent leur compte, de même que les adeptes de certaines religions. Mais la mesure n'a pas tardé à être interprétée par de nombreux parents, notamment originaires de la partie anglophone du pays, comme un recul. « Nous sommes ici dans l'un des tous premiers lycées bilingues au Cameroun. C'était l'identité de nos enfants. Quand on les voyait en ville, on savait qu'elles fréquentent le lycée bilingue. Maintenant qu'on les a libérées, il faut trouver le moyen de les contrôler, surtout avec la saison caféière qui vient », regrette Gilbert E. Nteng, dont toute la progéniture féminine a subi cette exigence sans broncher. L'une d'elles, aujourd'hui professeur de lycée, a même conservé le look du lycée, « pour ne pas perdre son temps dans les salons de coiffure ». Pendant près de 30 ans, cet établissement aura conservé cette marque, au point de contaminer presque naturellement la quasi-totalité des jeunes établissements secondaires nés au milieu des années 2000.

Il y a deux ans, les élèves de tous les Ces et lycées de l'arrondissement de Santchou avaient la crâne rasé, y compris dans des localités enclavées comme Balè ou Fonguetafou. Chez de nombreux parents, c'était normal d'imiter ce qu'on fait au lycée bilingue. D'ailleurs, la plupart de ceux-ci n'ont pas hésité à demander et à obtenir la marque du bilinguisme. Les écoliers du primaire étaient soumis au même traitement, pour préparer le futur au lycée. Mais la mesure n'était pas du goût de tout le monde. Bien souvent, les combats contre la pratique étaient menés à un niveau remarquable et sournois.  Courant 2014, un sous-préfet déboule dans le principal lycée de sa circonscription, avec son état-major, pour plaider une dérogation pour sa belle-fille, une croyante musulmane habituée à la burqa. Refus catégorique du proviseur qui lui oppose le règlement intérieur. « Au lycée, nous connaissons les élèves. Nous ne voulons pas savoir si elles sont mariées ou pas. Le règlement intérieur les met au même pied d'égalité, heureusement », se défend-t-il. « Donc si ma femme veut fréquenter cet établissement, vous allez l'obliger à se raser ? », repart le chef de terre. « Nous n'obligeons personne. Les élèves qui veulent fréquenter cet établissement savent que les têtes doivent être rasées. Avant de venir déposer leurs dossiers de recrutement, certaines grandes filles comme vous les appelez anticipent en se rasant sans être inscrites », rapporte le chef d'établissement. Le sous-préfet parle de non-respect de la hiérarchie et s'en va, en désespoir de cause, inscrire la femme de son fils dans le collège privé voisin.

Où malheureusement, les résultats scolaires ne suivent pas. On vient ainsi de mettre fin à une pratique qui de l'avis de certains experts, avaient des qualités. Des années mal vécues par des générations de filles, assurément. Le reporter du Jour s'est intéressé à la question, en fin d'année scolaire dernière, à travers quelques lauréates du baccalauréat. Au sortir de la salle de composition, sa première phrase est allée vers ses cheveux. S. M. était presque libérée. « Enfin Quelqu'un va devoir se coiffer comme il veut, sans que le surveillant général vienne y introduire son unité de mesure ». Pour prendre sa revanche sur le temps le lendemain, elle a acheté du fil à tresser, avec quoi on lui a fait des « pompons », sorte de coiffure pour enfants, qu'elle exhibe fièrement. Chaque soir, au sortir des cours, cette ancienne élève de Tle D au lycée bilingue de Santchou, un établissement semi-urbain de 2000 élèves, nouait toujours un foulard autour de la tête. Comme pour « se brancher ». Il n'en est rien. «Je ne suis pas en deuil pour avoir les cheveux aussi courts », tranche-t-elle. Elle appréhende l'obtention du baccalauréat comme la fin d'un calvaire qui aura duré huit ans, de la 6è en Tle. Cette impression de mal-vivre est partagée par beaucoup de ses camarades de classe. Elles ont ainsi trouvé des astuces pour couvrir leurs crânes après l'école et se libérer du malheur de ne pas avoir de longs cheveux : chapeaux noirs, perruques, greffes tissées, etc.

Une question de facilités
Dans leur lycée, comme dans beaucoup d'autres établissements publics ruraux à l'Ouest, la pratique, c'était les cheveux courts. Tant pour les garçons que les filles. A l'envers des filles, les garçons trouvent la mesure plutôt appréciable. « Elle met l'égalité entre nous. Sans cela, certaines filles devaient déranger avec des coiffures excentriques », expliquait par exemple Valère Bayoi, membre du club d'action citoyenne au lycée bilingue de Santchou. « Je trouve cette pratique très normale. Je gagne un temps important que j'utilise pour d'autres activités », reconnaît Armelle T., une élève de Tle C. « Malgré les risques d'infection avec les tondeuses et le soleil qui brûle, je ne réfléchis plus sur qui va me faire des tresses. D'ailleurs certaines tresses donnent de sérieuses migraines », juge pour sa part Rafiatou Na Mapon. En ville et dans certains établissements environnants, beaucoup de filles disent préférer les collèges privés parce que toutes les formes de coiffure y sont tolérées. Mais l'administration scolaire, dans son ensemble au moins pour le cas de l'Ouest, plaide pour l'économie de temps et d'argent, la concentration sur les études et non les fantaisies. « Nous faisons du bien à ces enfants.

Le rasage maintient davantage le cuir chevelu », assurait Frédéric Ngangue, l'actuel proviseur du lycée de Bantoum à l'époque où il dirigeait le Ces de Balè, sous l'autorité de ses connaissances en biologie. Sauf qu'à la rentrée du troisième trimestre et alors que certaines filles s'attendaient à un recul du contrôle, les surveillants généraux introduisaient des tubes de crayon à bille dans les têtes et envoyaient d'autres chez le coiffeur. A l'approche des vacances, certaines jugeaient leurs cheveux encore trop courts. La proximité avec la zone anglophone, où la pratique est systématique, y est-elle pour quelque chose ? On reconnaît que certains chantres du rasage ont fait leurs armes dans les lycées bilingues.

 

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