Cameroun - Réligion. Déclaration des biens : les évêques pris au piège de la manipulation

Michel Tafou | La Météo Vendredi le 22 Janvier 2016 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
À Batouri, les hommes d'Église viennent de se fourvoyer dans un débat à la fois désuet et impur concernant la moralité publique.

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Voici comment et pourquoi nos prélats ont été disqualifiés à travers leur demande d'application de l'article 66 de la Constitution.

Cogitation et farniente dans la Kadey. Une semaine de cogitation, c'est ce que les évêques du Cameroun se sont accordés du 9 au 16 janvier à Batouri (Est). Pour sa 39ème session, et sous le magistère de son président, l'archevêque de Douala Samuel Kleda, la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (Cenc) s'est éloignée du tumulte des grandes agglomérations pour le chef-lieu de la Kadey. «Le prêtre et l'accompagnement des familles» était le thème au cœur de cette assemblée des évêques.

Et il y avait du beau monde pour suivre ou animer les débats à Batouri samedi dernier, à la clôture. D'abord le représentant personnel du chef de l'État et non moins ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative (Minfopra), Michel Ange Angouing, qui aura suivi la fin des travaux de bout en bout. Ensuite le ministre des Mines, de l'Industrie et du Développement technologique, Ernest Ngwaboubou. Tout à côté, se trouvait le procureur général auprès de la Cour suprême, Luc Ndjodo. Tous fils de la Région du Soleil levant.

Parmi les intervenants Vip, et en dehors du nonce apostolique au Cameroun et en Guinée Équatoriale, Mgr Piero Pioppo, figurait en bonne place le président de la Commission nationale anti-corruption (Conac), Dieudonné Massi Gams, qui aura tenu son auditoire en haleine pendant près de trois heures d'horloge. Au terme de ce studieux conclave, et dans la plus pure tradition d'hospitalité qui caractérise les populations de la région de l'Est, cette délégation de dignitaires catholiques a été «détournée» sur son chemin du retour par une grande dame de la localité, la présidente de la section du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) pour la Kadey, Françoise Angouing, native des lieux. Celle qui est aussi, dans le civil, la valeureuse épouse de l'autre (suivez notre regard), a en effet offert un dîner somptuaire aux prélats camerounais de passage sur ses terres.

Thèmes et documents.

Les travaux de Batouri, on rappelle, étaient placés sous le thème : «Le prêtre et l'accompagnement des familles». Après avoir dénoncé les coutumes et traditions contraires à l'Évangile, mais également les multiples abus liés à la dot et autres dispositions contraires à la morale religieuse, les évêques ont rappelé l'importance et la beauté du mariage institué par Dieu, avec un seul homme et une seule femme comme un lien indivisible et indissoluble pour un bonheur de la perpétuation de la race humaine. Une allusion claire à la pratique de l'homosexualité et autres déviances du même tonneau, qui gagnent de plus en plus la société.

Pour Mgr Piero Pioppo, la famille est appelée à insuffler de l'esprit dans notre monde et, pour sauver le mariage chrétien face aux nombreuses menaces détectées, les évêques des 5 provinces ecclésiastiques du Cameroun envisagent la mise en place dans les séminaires d'une formation adéquate donnée aux prêtres, aux religieux et religieuses, ainsi qu'aux agents pastoraux pour accompagner efficacement les familles.

Mais ce que le public aura surtout retenu des assises de Batouri, c'est l'interpellation des évêques du Cameroun avec à leur tête Mgr Samuel Kleda, par rapport à la déclaration des biens et conformément à l'article 66 de la Constitution du 18 janvier 1996. Garants de la moralité publique, il ne viendrait à l'idée de personne de contester aux hommes d'Église leur rôle de vigies de la société. La Cenc est donc dans son rôle, qui consiste à tout mettre en œuvre en vue de l'instauration d'une véritable démocratie soucieuse de la bonne gouvernance et du respect des droits humains. Mais il convient également, dans ce débat, de restituer certaines vérités pas toujours bonnes à dire – à moins de vouloir s'inscrire essentiellement dans le registre du sensationnel.

À titre de rappel, la Loi fondamentale dont il s'agit a été conçue et promulguée dans un contexte particulier, c'est-à-dire au sortir d'une période de troubles sociopolitiques ayant ébranlé le Cameroun. Il est loisible de constater que plusieurs de ses dispositions apparaissent aujourd'hui obsolètes. Tel est le cas du fameux article 66, qui n'a pas défini les modalités d'application du régime de déclaration des biens pour les gestionnaires de crédits et autres détenteurs de mandats électifs. Auprès de qui, en effet, doit-on déclarer ses biens lorsqu'on sait que, dans le même temps le Conseil constitutionnel, censé recueillir lesdites déclarations, n'a pas encore été mis en place ?

Ici et là, surgissent les impatiences de la part de ceux estimant que 20 ans de non application de la Constitution, ou d'application partielle est synonyme d'inertie ou de mauvaise foi. À ce propos, on se contentera de rappeler que le temps étant une notion relevant de la métaphysique, le chef de l'État, garant des institutions républicaines, dispose d'un agenda discrétionnaire que lui confère son mandat à la tête de l'État. Et que, sans doute, constatant le caractère suranné de certaines dispositions de ladite Loi fondamentale, est dans son droit pour, à défaut de faire réviser immédiatement des textes désuets, peut décider d'en geler des passages contre-productifs ou dont la mise en application pourrait apporter plus de problèmes que de solutions au pays. Tel semble à l'observation le cas de l'article 66. Cela signifie que la pression que certains veulent exercer sur l'Exécutif est pernicieuse et inopérante, une disposition de ladite Loi fondamentale précisant par ailleurs que les institutions y prévues seront mises en place «progressivement».

Balayer devant sa propre porte.

En restant dans la logique des évêques du Cameroun, et dans leur souci de transparence de la vie publique, il est également loisible de constater que l'adage : «Faites ce que je dis, et non ce que je fais» n'est point démenti, concernant l'Église catholique qui est au Cameroun. Ces dignitaires religieux gagneraient à prêcher par l'exemple en déclarant leur propre patrimoine. Il n'est un secret pour personne que nos prélats, en dépit du vœu de pauvreté fait devant Dieu et devant les hommes, sont eux-mêmes particulièrement versés dans le business qui étend ses tentacules jusqu'aux marchés publics. S'il était donné au grand public d'élire les serviteurs de Dieu, aucun de ceux qui sont en poste n'est certain de passer le test de probité. Il en est ainsi du Vatican, l'un des États les plus riches au monde et dont les scandales de mal-gouvernance nourrissent la chronique des faits divers depuis des années.

Quel est le prélat camerounais pouvant aujourd'hui jurer de n'avoir pas trempé dans les affaires ? Très peu, pour dire le moins. Au contraire, à l'instar de Victor Tonyé Bakot, ils sont trempés jusqu'au cou dans des histoires glauques qui plongent leurs racines dans les déviances qu'ils dénoncent aujourd'hui. L'argent de la corruption engraisse amplement l'Église catholique qui est au Cameroun, à travers la cooptation d'élites politiques à la moralité douteuse et qui en sont les plus grands bailleurs de fonds. Les relations incestueuses entre ces deux entités transgressent allègrement les règles de la moralité publique.

À Yaoundé, l'archevêque Jean Mbarga n'a point repoussé le don de limousine du délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine, Gilbert Tsimi Evouna, dont on sait la propension à confondre les biens publics avec une épicerie familiale. Sa gestion gabégique est de notoriété publique, et pourtant il est plus proche des hommes d'Église que de la vertu. Ils sont ainsi des dizaines, à travers le Cameroun, ayant perdu tout sens de la pudeur face à l'appât du gain facile, sans prendre la moindre peine de vérifier l'origine des biens qu'ils reçoivent en sous-mains des prédateurs de la République. Les évêques du Cameroun aujourd'hui, passent l'essentiel de leur temps à dire des messes dans les domiciles des personnalités, à baptiser des enfants dans les résidences des «hommes bien» et non à l'église...

Tout ceci pour constater la maladresse de la Cenc, lorsqu'elle s'engage à jouer les preux. Dans tous les cas de figure, la bienséance eût commandé que les évêques du Cameroun, dont personne ne conteste par ailleurs la justesse et le courage dans certaines situations, engageant la vie du Cameroun, usent des voies appropriées pour interpeller les pouvoirs publics sur un sujet aussi sensible que l'application de l'article 66 de la Constitution. A moins qu'ils n'aient choisi eux aussi, les chemins tortueux de la manipulation des consciences.

Quant au président de la Conac, Dieudonné Massi Gams, qui semble devenu l'un des fervents croyants des vertus de l'application de l'article 66 de la Constitution, il est, là aussi, étonnant de constater que le non moins pasteur de l'Eglise presbytérienne camerounaise (Epc) où la mal gestion et la corruption sont légion,  n'a jamais donné de gages de sa probité en déclarant son propre patrimoine.

Au final, le représentant personnel du chef de l'État à Batouri, Michel Ange Angouing, le regard dubitatif, aura à l'observation vécu ces débats surréalistes non sans une pointe d'ébahissement. Ce magistrat de haut vol, plutôt que de s'engouffrer dans une polémique veule, aura laissé son monde étaler ses contradictions et ses turpitudes sur la place publique. Comme pour dire, la critique est aisée...
 

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