Côte d'ivoire. DJ Arafat : Comment être une idole et ne pas être un modèle

cameroun24.net Dimanche le 01 Septembre 2019 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La star ivoirienne et africaine de la musique DJ Arafat, Ange Didier Houon de naissance qui s’est tuée accidentellement à moto le 12 août 2019 à Abidjan, a créé un tsunami, pour rester dans la démesure, d’émotions et de larmes à travers l’Afrique subsaharienne. Quelle idole, pour quel symbole ?

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Grâce aux réseaux sociaux, une vague d’hommages, de commentaires, d’opinions, a immergé les jours qui ont suivi sa disparition. En pareille circonstance, il est difficile, pour rester dans le vocabulaire marin, de ramer à contre-courant, tant les opinions favorables, dithyrambiques coulent à flot. Les laudateurs du musiciens, en transe, contaminent jusqu’à l’hystérie le commun de gens, y compris ceux qui ne connaissaient pas le « phénomène » DJ Arafat, et même des personnes avisées, qui perdent leur lucidité et leur latin, devant ce « Chinois » (sic) des milieux populaires, d’une certaine culture suburbaine africaine, et des habitués des boîtes de nuits demi-mondaines, où le rythme dont il a été sacré « roi », le coupé-décalé, est un défouloir de la tension de la vie quotidienne dans les centres urbains africains, et un exutoire aux désirs de bonheur et de succès d’un bataillon de jeunes sans « pères » ni repères.

Laissons l’homme et l’artiste. Le premier, l’homme, fut exceptionnel, c’est le moins que l’on puisse dire, et déjà, les circonstances de sa mort, en elles-mêmes, sont une éclatante métaphore de ce qu’il fut : il meurt comme il vécut. Le second, l’artiste, eut du succès populaire, offrant aux masses ce qu’elles voulaient, des pulsions, malsaines peut-être, mais des pulsions quand-même dans ce quotidien africain qui en manque ou tant, ou qui en a déjà beaucoup trop. A l’homme et à l’artiste, on va dire de reposer en paix.

C’est le symbole que l’on questionnera.

Certains se demandent pourquoi un tel torrent d’émotions, de mobilisation, au-delà même de la famille des artistes Africains, voire du politique, à des niveaux les plus insoupçonnés dans son pays, la Côte d’Ivoire : obsèques nationales, moyens d’Etat, promesse de « musée », sans doute pour panthéoniser cette « muse », au sens d’inspiration, d’élévation ( ?) de la « culture » (de l’ambiance, au sens du show à l’africaine). On le sait, le politique sait surfer sur les vagues hautes, à fortiori un tsunami dont les effets induits feraient grimper en popularité tout acteur qui se hisse sur la vague et suit son mouvement auprès des masses. Business as usual.

L’homme, l’artiste, le symbole

Il est donc, « normal » que DJ Arafat mort suscite autant d’émoi ou de raffut. Il est (presque) « normal » que le politique, ses compères, ses congénères, autant de stars et de people de « l’ambiance » en Afrique surfent sur la vague de larmes et d’émotions populaires.
L’Afrique est un continent où dans bien de choses, l’anormal a été « normalisé ». On accuse souvent facilement les politiques, pour mieux se dédouaner soi-même. Si en Afrique, on célèbre autant « l’anormal », c’est que l’Africain lui-même serait « anormal », au fond.
En cela, le symbole « DJ Arafat » fait partie de l’anormalité normalisée. Cela n’est, certes, pas unique à l’Afrique, c’est une tendance sociale structurelle et intemporelle. Il prend simplement en Afrique des contours plus saisissants. La représentation que s’en fait la jeunesse, du phénomène « DJ Arafat », associée à certaines chaines de télévision internationales de musiques urbaines, surajoutée aux télénovelas, les réseaux sociaux dont se gave le jeune homme et la jeune fille africaine subsaharienne aujourd’hui, a contribué à mener toute une génération d’Africains, gaillardement à la dérive (restons dans le vocabulaire marin), ou à un naufrage générationnel annoncé. Qu’est-ce que symbolise trivialement le « roi du coupé-décalé » pour sa horde de fans : la démesure, l’excentricité, « l’ambiance » comme mode de vie, ainsi que ce qui va avec : fumer, boire, danser, et fricoter. Au-delà, l’affichage tape-à-l’œil dans des clips, des vidéos privées, versions tropicales de celles de leurs congénères américains du « gangsta rap », c'est l’hyperbole du voyou qui a réussi : maison de rêve, smala de filles aux corps presque parfaits à demi nues, illusion d’argent facile. Du storytelling, et non la réalité. Mais les jeunes qui en consomment sans filtre n’en ont cure.

En face, quelles images alternatives les sociétés africaines d’aujourd’hui renvoient aux jeunes ? Il n’y en a pas beaucoup ; en toute hypothèse, pas autant sublimées. Voit-on, mis en posture de « réussites » alternatives, de jeunes entrepreneurs, des jeunes journalistes, inventeurs, communicants, ingénieurs, ayant réussi et qui affichent ces signes tapageurs de réussite ? Pas vraiment ou pas assez ; non pas qu’il n’en existe pas, mais que certaines sociétés africaines, notamment d’Afrique subsaharienne, soient encore hostiles à la réussite authentique et au talent, qui y est bien souvent combattue avec acharnement. Le comble du paradoxe étant que dans le discours public de monsieur tout le monde, on se plaigne que les choses ne marchent pas, mais dans la réalité, on combat le talent : une forme de schizophrénie, doublée d’un syndrome de Stockholm qui consiste à crier à l’obscurité, tout en s’acharnant à casser les quelques ampoules qui brillent. C’est cette désinhibition de certains travers sociaux, cette normalisation de l’image de « gangster » que contribuait à renforcer la représentation du phénomène DJ Arafat. Donc ce qu’il symbolisait aussi.

On peut rétorquer que c’était un « artiste », avec sa charge de subjectivité, d’exclusivité, d’excentricité. Comme on l’a dit, laissons l’homme et l’artiste de « talent » (même Hitler avait un talent certain et un certain talent). Il serait prétentieux d’apporter un jugement de valeur dans la contribution du « roi du coupé-décalé » à la sous-culture urbaine, ou à la culture en général en Afrique. Ce qu’il convient de pointer, ce qui est fait dans ces lignes, c’est le système de représentation et de sublimation de la perception en tant que vedette, et l’incidence de cette représentation sur la foule de ses suiveurs jeunes. Cette représentation et cet impact seraient à classer au chapitre de l’anti-modèle ordinaire, parce qu’ils représentent une forme de non vertu au moins, et au plus, un vice.

Il ne s’agit pas de parler des incartades humaines de l’homme, ni du revers de la médaille de sa personnalité. On rétorquerait qu’il produisait de la joie. Certes. Des filles de joie produisent également de la joie, sont-elles pour autant digne du panthéon ? On le sait, pour certains, peu importe si on baisse le pantalon pour entrer au panthéon.

C’est ici, que l’idole de jeunes, tourne le dos, au modèle des jeunes.

François BMG

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