Cameroun - Société. Coco Bertin : Le chanteur qui veut obtenir ses diplômes secondaires

Mutations Vendredi le 07 Aout 2015 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Non-voyant depuis plus de 40 ans, celui qui a décroché le Bepc cette année est devenu célèbre au Cameroun grâce à ses œuvres sociales.

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En se rendant au lycée de Mballa 2 à Yaoundé le 25 juin dernier pour passer le Brevet d’études du premier cycle (Bepc), Coco Bertin était loin d’imaginer que l’œil de la caméra de la Crtv immortaliserait ce moment. Loin de se douter que sa présence dans cette salle d’examen aurait un écho international. Un examen qu’il réussi aisément. «Mais ce que les gens ignorent, c’est que j’étais également candidat au Probatoire. Mais l’examen s’est mal passé»», précise-t-il, lors de notre entretien dans la matinée du 22 juillet dernier.

«Quand le chargé de mission m’a vu, il a cru que je blaguais. Nous avons eu un long échange. Le sujet du débat portait sur la machine que les non-voyants devaient utiliser pour composer», souligne-t-il «En classe, les non-voyants utilisent des machines en braille. Mais, pendant les compositions, on exige qu’ils utilisent des machines dactylo. Ce qui n’est pas normal. En me présentant comme candidat au probatoire, mon objectif était de dénoncer les difficultés auxquelles font face les non-voyants lors des examens de fin d’année», confie Coco Bertin, la voix tremolos. Frustré d’avoir été mis à la porte par le chargé de mission, le candidat Coco Bertin jette l’éponge. Mais, son objectif est atteint…

Au siège du Centre de réhabilités des jeunes aveugles du Cameroun (Cejarc) au quartier Ekié à Yaoundé, où nous reçoit le nouveau «breveté»,  les rayons du soleil sont au rendez-vous. Ils frappent si fort la toiture, que de temps en temps on entend des bruits : «cracs, cracs». Des enfants qui font des va et vient entre le bâtiment principal du Cejarc et la cour, se protègent les yeux avec une main. Un calme plat règne. Il est parfois perturbé par les coassements de grenouilles et les pépiements d’oiseaux.

Multiple sollicitations

En traversant la porte d’entrée, à moitié ouverte, on tombe sur un trentenaire. Qui nous indique le bureau du «Directeur général». «Prenez à droite, vous allez voir la secrétaire», conseille-t-il. Au secrétariat, le bureau est bondé. Parmi les occupants, se trouve Coco Bertin. Il arbore un boubou de couleur orange avec des motifs circulaires brodés au fil en argent. Il échange avec des visiteurs pendant cinq minutes, et nous prie de le suivre dans son bureau.

Ici, on est tout de suite impressionné par la précision avec laquelle le non-voyant de 49 ans se déplace. A peine entré, il se dirige sur sa gauche, fait le tour de la table, s’assoit sur son fauteuil en cuir de couleur verte ; sans toutefois prendre appui sur un quelconque objet. Or, entre sa table et le mur, se trouve un meuble. Sur celle-ci, se trouve une pile de chemises rangées aux extrémités. Au centre, un ordinateur portable, un dictaphone. Dans un coin de son bureau, on aperçoit un ordinateur «desktop» et un téléphone fixe.

A travers les vitres de certains compartiments du placard, on aperçoit des livres soigneusement rangés, des cassettes et des compact discs aussi. Dans un autre segment, ce sont des parapheurs aux couleurs rouge, bleue et verte qui occupent tout l’espace. Le milieu du placard quant à lieu regorge de trésors comme des trophées (six au total), des tableaux d’honneur, des photos de famille, mais aussi une photo immortalisée 2003, lors de la visite de Chantal Biya, épouse du chef de l’Etat Camerounais, au Cejarc.

Quinze minutes sont passées depuis notre arrivée. Et le Iphone du cofondateur du Cejarc ne cessent de crépiter. Il sonne encore et encore. Le haut parleur permet d’entendre des extraits de conversations : «Bonjour Dg, je viens chercher …», «j’ai un problème avec le certificat de scolarité de l’enfant », «Dg, nous avions rendez-vous, vous êtes en retard». A peine abrège-t-il une conversation que de nouveau, le téléphone crépite. Les interlocuteurs appellent pour prendre rendez-vous, demander un conseil, solliciter un service, annuler un rendez-vous ou le lui rappeler. «C’est comme cela tout le temps », nous confie le fils de David Wandji Defosso.

Puis, la porte s’ouvre. C’est Raïssa, une de ses employés. «Dg, je suis venue chercher les documents pour la cérémonie », déclare-t-elle. Et comme un voyant, il retire des papiers formats avec des textes saisis dans un tiroir, et une chemise parmi la pile rangée sur son bureau et les lui remet. Il sait avec exactitude où tel objet est rangé. Soudain, la porte s’ouvre de nouveau. Cette fois, Martin Luther Amahata Adibita fait son entrée. C’est le co-fondateur du Cejarc. Egalement aveugle, les deux amis se connaissent depuis 31 ans. C’est avec lui que tout a commencé en 1986. C’est l’année au cours de laquelle ils ont fondé la coopérative des jeunes aveugles réhabilités de Yaoundé (Cojary).

«Nous sortions du rehabilitation institute of blind de Buéa (un centre de formation pour aveugles). Les responsables du centre nous avaient remis une prime d’installation. C’est avec cette prime que nous avons créé le cojary. Nous avons reçu des conseils, le soutien de l’écrivain Louis Philippe Ombedé (René Philombe)», se rappelle Mowa Coco Bertin. Le 4 août 1988, pour donner au Cojary le qualificatif de personnel juridique, «Coc » et «moiselle», comme s’appellent affectueusement Coco Bertin et Martin Luther; changent le dénominatif du Cojary, en centre des jeunes aveugles et réhabilités du Cameroun (Cejarc).  Parallèlement, «Coc » prend des cours de mathématique et biologie en braille. Ces enseignants sont des amis «qu’il a recruté pour les lui dispenser». Meilleur de sa promotion au rehabilitation institute of blind de Buéa, où il a passé deux ans à se former, «Coc » n’a pas du mal à s’en sortir. Il excelle même. Tout comme il se surpasse dans l’apprentissage de la guitare.

Carrière musicale

En 1999, il met son premier album sur le marché. Il s’intitule «Cécité ». «La présentation de cet album s’est fait devant un parterre de personnalités, dont la ministre des Affaires sociales de l’époque», se rappelle-t-il avec un brin de nostalgie dans la voix.  C’était la belle époque pour «Coc», ceci d’autant plus que le titre «cécité» est traduit en anglais et allemand. L’album est distribué dans plus de 120 écoles pour non-voyants à travers le monde. En 2005, le parolier récidive. Dans son deuxième album baptisé «victoire», ce fils de Bana, dans le Haut-Nkam met en pratique les cours de vocalise reçus par le promoteur du groupe Rrum Tah, Nkembe Pesauk en 1996, et la mayonnaise donne. Cinq ans plus tard, cet ancien élève de l’institut Hardley offre un nouvel opus à ses fans. Le fil d’ariane reste «l’histoire des non-voyants». La sienne, Coco Bertin la conte aujourd’hui avec le sourire. Or il y a 42 ans, le fondateur de l’Ecole normale des instituteurs de l’enseignement général (Enieg) n’acceptait pas sa condition.

«Quand ma situation a été jugée irréversible, malgré tous les efforts consentis par mes parents, j’ai failli me suicider. Je refusai cette éventualité. Je refusai de croire que je devais passer ma vie dans le noir», se souvient-il. Pour lui remonter le moral, et l’aider à accepter sa nouvelle condition, son père l’amène sur son lieu de travail. Le camionneur met tout en œuvre pour que son fils se sente bien. A cette époque, le musicien est âgé de 8 ans. Or quatre ans plus tôt, quand les parents de Coco Bertin découvrent qu’il a des problèmes de vue, ils ne s’imaginent pas que la situation de leur fils va se dégrader. Ils finiront par se résigner également.

Le temps le forge et lui permet de se projeter. Grâce à son moral d’acier, son épouse et ses cinq enfants, Coco Bertin est devenu incontournable quand on évoque la situation des non-voyants au Cameroun. «Il réalise ce que les voyants ne parviennent pas à réaliser», confiait l’artiste Sissy Dipoko. Comme Steve Wonder, Ray Charles, Edith Piaf, le peintre turc Esref Armagan, Coco Bertin est né pour réussir…

Nadine Ndjomo

 

Repères

 

Octobre 1966, Naissance à Yaoundé

1970. Début des troubles visuels

1974. Cécité

1986. Fin de formation au Rehabilitation Institute of blind de Buea

1986. Fondation de la Coopérative des jeunes aveugles réhabilités de Yaoundé (Cojary) avec Martin Luther Amahata Adibita, son ami depuis 31 ans ; également aveugle comme lui

4 août 1988. Le Cojary devient Cejarc (Centre des jeunes aveugles et réhabilités du Cameroun)

1999. Début de sa carrière musicale avec la sortie son premier album «Cécité »

2003. Visite du siège du Cejarc par l’épouse du Chef de l’Etat, Chantal Biya

2005. Sortie du deuxième album, «Victoire»

2010. Sortie du troisième album «Surprise »

2015. Obtention du Bepc

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