Canada. Canada : Noir et québécois, pas facile

Caroline Montpetit | Le Devoir Jeudi le 17 Mars 2011 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le Canada célèbre chaque année depuis vingt ans le Mois de l’histoire des Noirs, qui commémore la lutte des Noirs du pays pour se libérer de l’esclavage. Pourtant, la société québécoise ne traite toujours pas de façon égalitaire les Noirs et les Blancs, écrit Le Devoir.

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Février 1969. Il y a quarante-deux ans, un événement singulier secouait le monde universitaire de Montréal. Six étudiants originaires des Caraïbes entamaient une protestation contre un professeur de biologie de l’université Sir George Williams, aujourd’hui Concordia. Perry Paterson, disaient-ils, les faisait systématiquement échouer à cause de la couleur, noire, de leur peau. Cette protestation, qui avait débuté sous forme de lettre, avait rapidement pris des proportions énormes. Des étudiants, noirs comme blancs, prennent d’assaut le neuvième étage, le laboratoire informatique de Sir George Williams ; des ordinateurs sont lancés par les fenêtres, la police procède à des interventions musclées. Un feu se déclare à l’étage occupé. L’histoire veut que quelqu’un dans la foule ait alors crié : “Laissez les Nègres brûler ! [Let the niggers burn !]”. Plusieurs manifestants, surtout les Noirs, selon l’historienne Dorothy Williams qui donnait récemment une conférence sur la question, ont ensuite été condamnés à la prison.

Aujourd’hui encore, cet événement est considéré comme un tournant dans l’histoire des Noirs de Montréal. Au moment de la crise, la communauté noire était à la fois mobilisée et divisée autour de la question. “Certains étaient d’accord avec les protestataires, d’autres étaient contre. Les gens n’étaient pas tous du même avis”, commente Dorothy Williams. Mais surtout, cet événement, qui a été désigné comme “l’affaire Sir George Williams”, a mené à la création des postes d’ombudsman [médiateur] dans les universités. Pour Dorothy Williams, auteure de plusieurs livres sur la communauté noire de Montréal, les questions raciales ne sont pas abordées directement au Québec, ou au Canada en général. “On n’enseigne même pas l’esclavage à l’école dans les cours d’histoire !” dit-elle. Or l’esclavage avait déjà cours ici en Nouvelle-France [colonie française d’Amérique du Nord de 1534 à 1763].

Pour Dorothy Williams, les Québécois s’obstinent à percevoir les Noirs comme des étrangers au Québec, alors qu’ils sont ici depuis les tout débuts de la colonie, et qu’un Noir nommé Mathieu da Costa a mis le pied en Nouvelle-France en même temps que Samuel de Champlain [fondateur de la ville de Québec] !

Parallèlement, si les Noirs québécois n’ont pas vécu la ségrégation proprement dite, comme celle que l’on retrouvait aux Etats-Unis, ils ont longtemps été tenus à l’écart de certains quartiers par le biais de gentlemen agreements, selon lesquels les propriétaires s’entendaient pour ne pas vendre de terres ou de maisons à des Noirs, ajoute Mme Williams. Statistiquement, poursuit Dorothy Williams, un Noir bachelier gagne moins d’argent qu’un Blanc qui n’a pas son diplôme d’études secondaires. “Ce sont les rapports gouvernementaux qui le prouvent, assure-t-elle. Dans l’ensemble, on calcule que la population noire canadienne gagne 30 % de moins que la population blanche.”

A la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec (CDPDJ), on relève que la discrimination raciale a constitué le premier motif de plainte l’an dernier, prenant le pas sur la discrimination pour cause de handicap.

A diplôme égal, les Québécois noirs souffrent aussi davantage du chômage que les Blancs, confirme Gaétan Cousineau, le président de la CDPDJ. On le sait, les jeunes sont plus souvent arrêtés par la police, et les Noirs sont la cible d’un plus grand nombre de signalements à la protection de la jeunesse que les Blancs, dans des circonstances similaires. “Les Noirs subissent des interpellations plus fréquentes, s’ils se tiennent en groupe, s’ils crachent ou s’ils écrivent des graffitis, par exemple”, explique-t-il.

“A l’âge de 16 ans, un jeune Noir aura en moyenne été interpellé par la police quatre ou cinq fois, précise Dorothy Williams. Cela n’arrive pas aux enfants blancs. Et c’est très stressant d’élever des enfants dans un environnement qui les identifie tels des ennemis.” A la CDPDJ, on confirme que certaines interventions policières auprès des Noirs québécois ne sont pas toujours justifiées par les circonstances.

Depuis les années 1960, alors que Sir George Williams grondait, certains aspects de la vie des Noirs québécois et montréalais se sont toutefois améliorés. Dans le logement, par exemple, on retrouve moins de discrimination qu’auparavant, reconnaissent Dorothy Williams et Gaétan Cousineau. “Mais c’est bien parce qu’il y a eu des lois pour prévenir la discrimination”, note Mme Williams. Un petit pas sur la longue route qu’il reste à parcourir.
 

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