Cameroun - Politique. Cameroun - 6 avril 1984: Le pic d’un malaise sociopolitique

Jacques Doo Bell | Le Messager Lundi le 07 Avril 2014 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le changement «exemplaire» intervenu à la tête du Cameroun le 6 novembre 1982 dégénéra en cette nuit du 6 avril 1984.

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Les noctambules et autres couche-tard de Yaoundé ont été perturbés vers 3 heures dans leurs exercices préférés par les hurlements des sirènes d’alerte de toutes les casernes de Yaoundé, y compris celle de la Délégation générale de la Sûreté nationale, y compris les rafales des tirs automatiques. Le petit peuple attendra jusqu’à 5h-6h du matin pour apprendre à travers le téléphone arabe qu’il s’agit d’un putsch pour certains, d’une mutinerie pour d’autres. Il s’agit en fait d’un mouvement perpétré par une partie de la garde présidentielle de l’époque sous la conduite de son numéro 1, le colonel de gendarmerie Saleh Ibrahim, secondé par le commissaire de police Amadou Sadou. Le coup aurait été motivé par l’imminence de la dernière phase de la réorganisation de ce corps d’élite, chargé de la protection du chef de l’Etat et constitué à l’époque essentiellement des éléments originaires du grand Nord. Dans cette perspective, le colonel Saleh Ibrahim avait déjà un adjoint en la personne du colonel Doualla Massango, aujourd’hui général de gendarmerie qui sera parmi les premiers otages des insurgés. Les autres compagnons d’infortune de cet officier seront entre autres le colonel René-Claude Meka et le délégué général à la Sûreté nationale déjà à l’époque, le commissaire Martin Mbarga Nguelé. Le général Pierre Semengue et Gilbert Andzé Tsoungui, de regretté mémoire, alors ministre des forces armées, également dans la ligne de mire des putschistes échappent à la trappe. Ce sont eux qui seront les cerveaux de l’organisation de la riposte. Forte de 1500 hommes bien équipés, disposant de blindés légers et de pièces d’artillerie, les mutins s’emparent presque sans coup férir de quelques places fortes de Yaoundé dont l’aéroport d’alors devenu la base aérienne 101, le poste national de la radiodiffusion. Seuls les éléments en faction au palis présidentiel opposeront une résistance appropriée aux assaillants. Ceux-ci ont plutôt brillé par un amateurisme de soldat d’opérette.

Quand les parachutistes de Koutaba et d’autres unités venues des provinces entrent à Yaoundé en début d’après- midi, l’enthousiasme des mutins s’estompent devant le feu nourri des professionnels plus aguerris. Ce sera la débandade après une faible résistance. Le carnage durera plus de 24 heures avec des centaines de morts dont des civils. La confusion sera totale. Il suffisait d’afficher un faciès pour devenir suspect. Des militaires et cadres civils de la région n’échappent point à la trappe. Parmi eux l’ancien Pdg de la Camair, Amadou Bello, les colonels Ngoura Beladji et Oumanou Daouda, l’administrateur civil Garga Haman Adji, le magistrat Mazou, l’ingénieur Issa Tchirouma Bakari, l’ancien président de la section départementale de l’Unc du Wouri, El Hadj Tanko Hassan, Mlle Suzanne Lecaille, cadre à la Sonel et même le directeur de cette entreprise Niat Njifenji, l’ingénieur Marafa Hamidou Yaya…La liste n’est pas exhaustive.

Si certains ont pu échapper aux peletons d’exécution, ils ont passé de longues années en prison, essuyant les avanies de toutes sortes. Si les mutins ont brillé par leur improvisation sur le plan militaire, l’aspect politique de l’insurrection aura aussi été des plus incohérentes. « Un coup d’Etat qui traine est un coup d’Etat manqué », analyse le journaliste Philippe Gaillard, grand connaisseur du Cameroun et de sa classe politique.

Alors que les mutins contrôlaient la radio avant l’aube, ils se sont limités à faire diffuser la musique militaire. C’est d’ailleurs cette musique qui fixera les Yaoundéens sur ce qui arrivait. C’est seulement vers midi qu’un preneur de son est conduit à leur quartier général pour enregistrer leur proclamation lue par l’ancien directeur général du Fonader, Issa Adoum. Cette dernière sera diffusée à 13 heures. Entre temps, les techniciens qui n’étaient pas évidemment acquis à leur cause pour des raisons évidentes auront eu le temps de déconnecter tous les émetteurs sauf celui en modulation de fréquence, réduisant son écho au périmètre de la capitale.


La bande à Biya…

Si la teneur de ce message visait le côté populiste, il n’a pas atteint la corde patriotique des Camerounais. Même s’il portait sur des abus déjà perceptibles après une « tentative de coup d’Etat » avorté, annoncée en août 1983. Celle-ci donna lieu à un procès au terme duquel, l’ancien président, commanditaire présumé, son ex aide de camps et son ex intendant ont été condamnés. Voici la substance de cette proclamation : « l’armée nationale vient de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de sa tyrannie, de leur escroquerie et de leur rapine incalculable, inqualifiable ». Ce sont des jeunes officiers et sous-officiers « prêts au sacrifice suprême » qui entendaient ainsi mettre fin à la gabegie déjà perceptible. Ils ont constitué « un Conseil militaire supérieur ». Dans leur déclaration, « les communications étaient coupées, l’Assemblée nationale dissoute, le gouvernement démis, tous les partis politiques suspendus »-combien existaient-ils ? « Tous les gouverneurs de province suspendus ; sur le plan militaire, les officiers supérieurs exerçant le commandement d’unités opérationnelles sont déchargés de leurs fonctions. L’officier subalterne le plus ancien dans le grade le plus élevé prend le commandement ».

Il faut dire que ce message eut plutôt le mérite de monter la population contre les mutins qui auront à affronter non seulement leurs anciens frères d’armes, mais les civils encore acquis à la cause du Renouveau. Le timbre vocal de l’orateur et la pauvreté de ce message feront le reste. Mais le pouvoir capitalisera mal la réaction de cette population. La nouvelle classe politique montante en profite pour encercler Paul Biya et confisquer le pouvoir. Selon l’analyse de Philippe Gaillard, « en arrière plan, l’image de stabilité qui était celle du Cameroun dans les cercles internationaux s’est déchirée, les partenaires étrangers, publics et privés, naguère enthousiastes, prennent leur distance. Pis, tandis que les recettes du pétrole atteignent leur apogée, le niveau de vie de la population est sérieusement amputé par une inflation de 20% ».

Trente ans après, on n’est pas sortie de l’ornière. Le « chaos lent » dont parle le socio-politiste Mathias Owona Nguini se met en place à la faveur d’une guerre des réseaux dont la récente « affaire Bapès Bapès » est un épisode fort éloquent. On dirait le début d’une fin de règne. 

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