Cameroun - Corruption. Cameroun : par ici, la monnaie !

JeuneAfrique Mardi le 05 Février 2013 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Rembourser pour échapper aux juges quand vous êtes accusé d'avoir volé beaucoup d'argent, c'est désormais possible. Le Tribunal criminel spécial a déjà permis à l'État camerounais de recouvrer 3 milliards de F CFA.

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Roger Ntongo Onguéné enrageait d'être seul sur le banc des accusés, le 16 janvier dernier. De ne pas pouvoir, lui aussi, rembourser les sommes (316 millions de F CFA, soit 481 700 euros) qu'il est accusé d'avoir détournées. L'ancien patron de l'Autorité aéronautique civile du Cameroun aurait dû comparaître aux côtés d'Yves Michel Fotso, l'ex-directeur général de la Cameroon Airlines, soupçonné, lui, d'avoir volé 230 millions de F CFA. Mais, condamné à vingt-cinq ans de prison dans une autre affaire (celle de l'Albatros), Fotso a préféré conclure un arrangement avec le Tribunal criminel spécial (TCS) plutôt que de risquer de nouveaux ennuis avec la justice. L'homme est issu d'une famille riche, possédant un empire industriel et bancaire, et trouver 230 millions de F CFA n'est pas un problème. Le 14 janvier, le procureur général du TCS a donc requis l'abandon des poursuites.

La liberté, mais sous certaines conditions

Au Cameroun, la justice pardonne mais n'oublie pas. Certes, plaider coupable devant le Tribunal criminel spécial (TCS) et rembourser l'argent détourné permettent aux accusés de recouvrer leur liberté, mais cela ne disparaît pas du casier judiciaire. Or le code pénal camerounais prévoit dans ce cas une exclusion, pendant dix ans, de « toute fonction, emploi ou offices publics ». Du coup, les hommes politiques poursuivis par l'opération Épervier, mais qui n'ont pas fait le deuil de leurs ambitions, ne se précipitent pas... Mieux vaut, pensent certains, attendre au fond du cachot. Quant à l'ancien patron de la Camair Yves Michel Fotso, il a désormais peu de chances de rediriger un jour un établissement bancaire tant il lui sera difficile de décrocher l'agrément des autorités camerounaises et de la Commission bancaire de l'Afrique centrale (Cobac). G.D.

Roger Ntongo Onguéné a tenté de se raccrocher à Fotso. « Je suis une victime non consentante des actes commis à la Camair, s'est-il écrié. Je me suis retrouvé pris au piège de mon coaccusé, qui m'a utilisé. » Peine perdue. Fotso est désormais officiellement hors de cause, et Ntongo Onguéné s'est retrouvé seul face à des juges connus pour avoir la main lourde. Verdict attendu le 31 janvier.

Le TCS, c'est une nouveauté au Cameroun. S'inspirant des procédures du « plaider coupable » à l'anglo-saxonne, il a été inauguré le 16 octobre 2012 : les affaires de détournement d'un montant supérieur à 50 millions de F CFA ne donnent plus forcément lieu aux habituels procès à grand spectacle. Le temps de la vengeance judiciaire et médiatique contre les puissants semble révolu. À ceux qui remboursent, la justice promet la liberté. Toute personne poursuivie peut formuler une proposition de remboursement auprès du procureur général, Émile Nsoga. Commence alors la négociation, à l'instar de celle que va bientôt engager Haman Adama, ancienne ministre de l'Éducation de base, incarcérée depuis le 6 janvier 2010 pour des soupçons de détournements initialement estimés à 200 millions de F CFA. « L'enquête ayant réduit la somme à 90 millions de F CFA, elle souhaite mobiliser ses proches pour rembourser », confie un avocat proche du dossier. Si un accord est trouvé avec le parquet, l'accusé peut alors effectuer le paiement - à condition que le ministre de la Justice valide le compromis.

Avant l'avènement du TCS, un tel dénouement aurait été inimaginable devant le tribunal de grande instance de Yaoundé, celui-là même qui a condamné Fotso en septembre 2012 dans l'affaire Albatros. Et l'ancien banquier a bien compris l'opportunité que lui offrait la nouvelle juridiction. Il a donc interjeté appel, saisi le TCS et, le 18 janvier, fait déposer à la Trésorerie générale de Yaoundé neuf chèques, pour un montant total de 886 752 217 F CFA. Estimant avoir payé sa part dans la calamiteuse affaire de l'achat d'un avion présidentiel, qui a fait perdre 24 milliards de F CFA à l'État, il a écrit dès le lendemain au ministre de la Justice pour lui demander d'autoriser le procureur général du TCS à stopper la procédure.

"Monstre judiciaire"

Le 25 janvier, Laurent Esso n'avait toujours pas donné sa réponse. Mais quelques jours plus tôt, il avait validé l'accord passé entre le tribunal et Afriland First Bank, de Paul Fokam Kammogne. Le groupe a préféré payer plutôt que de risquer un procès qui menaçait de ruiner sa crédibilité. Coût de la transaction : 1,7 milliard de F CFA. Cette fois-ci, l'accusé principal, c'était Serge Kaptue Tagne, chef d'entreprise et partenaire d'un projet cogéré avec le ministère des Forêts. Il est soupçonné de s'être servi sur un compte du projet et d'avoir ainsi crédité un compte de dépôt à terme dont il touchait les intérêts... Ce qui, selon la justice camerounaise, n'a été possible que grâce à la faiblesse des procédures de contrôle et à la complicité d'une dizaine de cadres d'Afriland First Bank, aujourd'hui incarcérés.

Ses détracteurs ont d'abord décrit le TCS comme un « monstre judiciaire » parce qu'il est impossible de faire appel de ses décisions. Ils ont pointé la marge de manoeuvre réduite de son président, Abdou Yap, un magistrat de 53 ans qui a une connaissance millimétrée de chaque dossier et qui, avant de rejoindre le TCS, était l'adjoint de Jean Foumane Akame, l'influent conseiller juridique du président Paul Biya.

Mais alors que les avocats regrettent le manque d'indépendance des juges et l'immixtion du ministre de la Justice, les justiciables se consolent avec la rapidité des procédures qui tranche avec les lenteurs habituelles. La loi oblige en effet le TCS à travailler rapidement, sous peine de sanctions disciplinaires : les officiers de police judiciaire du TCS ont trente jours renouvelables deux fois pour rendre leur rapport d'enquête préliminaire ; les juges d'instruction disposent d'un maximum de cent quatre-vingts jours pour boucler l'information judiciaire ; quant aux juges du siège, ils ont six mois pour auditionner les parties et rendre leur verdict. Résultat : près de 3 milliards de F CFA ont été recouvrés en trois mois de fonctionnement... Que demander de plus ?

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