Lutte contre Boko Haram. Cameroun : Pour ou contre le voile intégral ?

Ibin Hassan | Mutations Mercredi le 15 Juillet 2015 Culture Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
La question agite la communauté nationale après les attentats-suicides de Fotokol.

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Le dilemme est dans l’air du temps. Faut-il ou non interdire le port du voile intégral au Cameroun? Le préfet du département du Noun, lui, ne s’est pas trituré les méninges sur la question.  Donatien Boyomo a signé un arrêté le 29 juin dernier dans le but d’assurer la sécurité des populations de sa circonscription administrative. Le préfet interdit « à toute personne non identifiable à vue, de circuler sur la voie publique, d’emprunter un moyen de transport public (moto-taxi, taxi, car de transport interurbain), de fréquenter des lieux, les gares-routières, les obsèques, les hôpitaux ». Cette autorité administrative interdit par ailleurs de faire du commerce en tant que vendeur ou acheteur avec toute personne dont le visage n’est pas découvert.

Des voix s’élèvent déjà pour crier au scandale, suite à la mesure du préfet du Noun. Elles estiment que le « chef de terre » se rend ainsi coupable d’un abus de pouvoir. A les en croire l’acte préfectoral porte atteinte aux libertés individuelles et à la foi des uns et autres. Pourtant, Donatien Boyomo est « dans ses prérogatives », explique Me Claude Assira. Cet avocat affirme que le préfet peut prendre des actes administratifs pour la sauvegarde de la paix et de la sécurité de son unité de commandement. La loi du 19 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre lui confère ces pouvoirs. Toutefois, précise Claude Assira « l’interdiction du port du voile est une question délicate car paradoxale : il y a à la fois atteinte à une liberté individuelle, le voile étant à la fois un vêtement et l’expression de sa foi». L’avocat est d’avis que la prise d’une telle mesure de protection est justifiée par « un risque réel et grave ».

Le débat sur l’interdiction ou non du port de la burqa va gagner en intensité au Cameroun, car suite aux attentats-suicides ayant fait 13 morts et de nombreux blessés dimanche à Fotokol, le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord, Midjiyawa Bakari, annonce «l’interdiction de la circulation des véhicules aux vitres fumées [et] l’interdiction du port du voile».

Laïcité

En rappel, la Constitution de la République du Cameron dispose, dans son préambule, que «l’Etat est laïc. La neutralité et l’indépendance de l’Etat vis-à-vis de toutes les religions sont garanties. La liberté du culte et le libre exercice de sa pratique sont garantis». Aujourd’hui, le groupe terroriste Boko Haram semble saisir cette flexibilité religieuse pour commettre des exactions. Le voile intégral est devenu un instrument de guerre. Les kamikazes se servent de ce vêtement pour dissimuler des explosifs. C’est le mode opératoire utilisé lors des derniers attentats-suicides au Tchad et, plus loin dans le temps, au Nigeria. Les deux femmes qui se sont faites explosées dimanche dernier à Fotokol se sont camouflées sous un voile intégral. 

Selon le chercheur en questions de sécurité et défense, Raoul Sumo Tayo, « la laïcité ne peut pas être au dessus de la sécurité. A situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Les personnes attirées par ce mode vestimentaire ne doivent pas se sentir indignées. Elles doivent être plutôt compréhensives et être souples puisque cet accoutrement est également utilisé par des terroristes ». Pour Sumo Tayo, le Cameroun doit prendre des mesures conservatoires. « Il serait irresponsable de voir ce qui se passe au Tchad et au Nigéria et ne pas agir. Les gens semblent ne pas encore prendre conscience de ce qui se passe du fait de la distance. Les autorités administratives doivent donner des moyens de détection des bombes aux policiers », tranche ce chercheur, qui salue au passage l’acte du préfet du Noun et propose que cet acte s’étende sur tout le territoire national.

Psychose

Approché, un spécialiste des religions ayant requis l’anonymat, indique que le port du voile est une injonction divine. D’après le verset 59 de la sourate 33 du Coran, il a été recommandé « au Prophète Mohamed de dire à ses épouses, à ses filles et aux femmes des croyants de ramener sur elles leur grand voile. De cette manière, elles seront plus reconnues et éviteront d’être offensées ».  Le voile était donc destiné à une protection contre les regards. D’où son nom « Hidjab », protection.  L’islam recommande la protection de certaines parties du corps, à l’exception du visage et des mains. Le port du voile intégral, long, ample et de couleur noire, encore appelé « Ninja », est une importation de la culture afghane ou pakistanaise. Elle a été adoptée par certains musulmans. Mais le port de ce vêtement est encore minoritaire au Cameroun.  « L’interdiction générale du port du voile peut engendrer des frustrations et des stigmatisations. Cette mesure conservatoire peut être perçue comme une condamnation de ceux qui porte cette tenue. Ils se sentiront coupables ou indexés comme des terroristes », estime cet expert.

Le sociopolitiste Claude Abé pense pour sa part que « l’interdiction du port du voile en temps de paix doit être considérée comme une atteinte aux libertés individuelles et au principe constitutionnel de la laïcité. En revanche, en temps de crise, cette mesure vise la sûreté de l’Etat. Le cas du Noun précisément démontre qu’il y a un feu sous la cendre. Là-bas, il existe plusieurs branches de l’Islam, dont celle des Wahhabites, qui sont généralement de la branche violente. Beaucoup d’individus utilisent la burqa pour masquer des bombes. Cette mesure doit s’étendre à d’autres vêtements qui peuvent faciliter le port ou la dissimulation d’une arme», explique-t-il.

Toutefois, relativise le socio-politiste, cette interdiction, si elle est étendue à l’ensemble du pays, peut susciter une psychose généralisée.

 

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