Cameroun - Economie. Cameroun, Banques : la haute mafia épinglée par la Conac

Alain NOAH AWANA | Le Messager Vendredi le 30 Novembre 2012 Société Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Selon le rapport 2011 de la Commission nationale anti-corruption, une mafia se développe au sein des institutions bancaires qui deviennent des instruments de corruption et de blanchiment d’argent.

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« Les banques publiques et privées dans notre pays sont très souvent des instruments de corruption et de blanchiment d’argent ». L’assertion est de Dieudonné Massi Gam’s, président de la Commission nationale anti-corruption (Conac), lors de la présentation du rapport 2011 sur l’état de la lutte contre la corruption au Cameroun, jeudi 29 novembre 2012. Sans ambages ledit rapport montre comment une insidieuse sophistication dans les détournements de deniers publics et de blanchiment d’argent dans le pays se fait au niveau des banques, avec des détournements d’argent qui s’opèrent dans le cadre des opérations de commerce extérieur. « Certaines sources révèlent que des cadres et responsables de banques seraient mêlées à des affaires douteuses », souligne à ce propos Dieudonné Mbarga Abene, dans sa note de lecture.

Mais, comment se développe cette mafia décriée par la Conac ? Tout simplement dans le cadre des opérations d’import-export où des centaines de millions, voire de milliards restent à l’étranger à cause de la fraude et des cas de corruption recensés dans les opérations de transactions bancaires. Les opérations traitées dans le cadre du commerce extérieur sont celles de guichet (les transferts sur l’étranger et les négociations de devises) et les opérations de portefeuille (effets libres à l’encaissement, effets libres à compenser, crédits documentaires et remises documentaires. « Les manipulations bancaires qui sont à l’origine de la corruption apparaissent dès lors qu’un opérateur économique entend acquérir une marchandise et mandate une banque pour opérer la transaction », lit-on dans la première partie de ce rapport.

128 transactions douteuses

L’Agence nationale d’investigation financière (Anif), est chargée de recevoir, d’analyser et de traiter les déclarations de soupçon relatives aux opérations bancaires ou financières susceptibles de constituer des infractions sous forme de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Cette cellule a enregistré en 2011 128 déclarations d’opérations suspectes de la part des assujettis (contre 124 en 2010). L’un des moyens de paiements les plus utilisés dans le domaine du commerce extérieur est le virement bancaire Swift : il est rapide, simple à effectuer et moins coûteux. Mais, dès qu’il est déclenché, il est impossible de ne pas le payer. « C’est à ce niveau qu’entre en jeu la mafia interbancaire qui peut être soit le fait du banquier, soit de l’agent public chargé de suivre le déroulement de la transaction pour le compte de l’Etat », explique Dieudonné Massi Gam’s.

C’est ce qui fait dire au président de la Conac, toutes proportions gardées, que l’argent viré à l’étranger par l’Etat pour acquérir une prestation ne paraît pas correspondre toujours à la valeur réelle des produits commandés. « La mafia devient ainsi très complexe, continue-t-il, du fait de la spéculation bancaire et des procédés de remises documentaires car, le contrôle de conformité est souvent biaisé par les personnes ou les administrations auxquelles profitent les malversations ». Et quand il faut ajouter à ces dénonciations celles portant sur les cadres et responsables de ces banques dans des affaires douteuses, on comprend mieux pourquoi le rapport de la Conac épingle les banques.

Plus de 3 milliards Fcfa retenus

Mais, ce n’est pas tout. Les banquiers sont également épinglés en ce qui concerne les règlements par chèques et les virements bancaires. Sur la base des dénonciations et informations qui lui sont parvenues, faisant état de ce que d’importantes sommes d’argent représentant le montant des redevances fiscales seraient en souffrance dans les caisses de banques commerciales, la Conac avait engagé à Douala et à Yaoundé une mission d’enquête. Il était question de vérifier le bien-fondé des dénonciations, d’évaluer les montants des fonds en question et de proposer des mesures appropriées pour le recouvrement de ces fonds.

Dans les établissements bancaires, elle a eu confirmation de l’existence effective des sommes au profit du Trésor public qui étaient contenues dans leurs écritures sous la rubrique « comptes des suspens ». Au 31 décembre 2010, les montants cumulés de ces comptes étaient de 3,88 milliards Fcfa dans 10 établissements financiers (voir tableau). Heureusement, comme le rappelait le président de la Conac, 3,2 milliards Fcfa sont déjà recouvrés et reversés au Trésor public. Il relève tout de même que les produits du crime prennent des « proportions alarmantes » et empruntent des destinations connue s à travers les établissements de la micro-finance et les « tontines » qui gèrent dans l’informel total des masses importantes de capitaux dont l’origine est souvent obscure.

Il dénonce également le fait que certains réseaux mafieux se sont mis en branle pour empêcher la commission de mener des enquêtes dans ce secteur. Et cela avait été fait par le biais de la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac), le gendarme du secteur bancaire dans la sous-région. « Nous avons simplement rappelé à la Cobac que sa compétence s’exerce sur la conformité, la régularité de la création des établissements financiers alors que celle de la Conac concerne les investigations sur la base de dénonciations de blanchiment de capitaux et d’évasion fiscale dont ces entités serviraient de tremplin ».

Liste et montants des comptes en suspens

Etablissements financiers Montant en Fcfa

Afriland First Bank 420 842 432
Banque Atlantique 56 603 100
BICEC 546 510 186
CA SCB 179 192 393
CBC 159 994 575
Citibank 1 182 668 060
Ecobank 63 836 490
SGBC 499 462 056
Standard Chartered bank 30 222 293
Union bank of Cameroon (UBC) 745 395 453

Total 3 884 727 668




La gangrène de la société camerounaise

Le discours du président de la Commission nationale anticorruption (Conac) aura fortement marqué les esprits. Plus de trente minutes pour lire les 19 pages de son propos liminaire, en ouverture de la présentation officielle du rapport annuel de cette institution sur « L’état de la lutte contre la corruption au Cameroun en 2011 ».

Le révérend Dieudonné Massi Gam’s n’a pas mis de gangs pour prononcer des paroles fortes. Notamment lorsqu’il qualifie la corruption de gangrène, qui s’appuie sur des intérêts mafieux, devenant par là même un vrai fléau. Dans tous les cas, la situation est préoccupante. Et le rapport 2011 de la Conac le relève suffisamment. Ce document de plus de 300 pages, imprimé en anglais et en français montre à quel point certains secteurs sont rongés par la corruption. Le rapport est découpé en quatre parties.

La première porte sur les stratégies sectorielles en matière de lutte contre la corruption, lit-on dans la note de Dieudonné Mbarga Abene. La deuxième est consacrée aux activités de contrôle effectuées par la Conac. La troisième partie quant à elle traite de la prévention et de la répression des pratiques de corruption. Enfin, la dernière revient sur la coopération, aussi bien nationale qu’internationale, en matière de lutte contre la corruption.

Mais, c’est dans le fond que le rapport est beaucoup plus intéressant. Que ce soit la santé, l’éducation, les marchés publics, les transports (notamment les péages et les stations de pesage), les domaines et les affaires foncières. Quant aux banques, aux microfinances et au secteur du commerce, le rapport met un accent particulier sur le caractère mafieux des transactions qui s’y déroulent au quotidien. L’année dernière, l’Agence national d’investigation financière a enregistré 120 déclarations d’opérations suspectes de la part des assujettis. Un nombre en hausse par rapport à 2010.

Le secteur financier est donc très touché, et le rapport de la Conac interpelle les pouvoirs publics à ce sujet. Aucun secteur n’étant épargné par le phénomène de la corruption, le rapport met en lumière les pratiques de corruption au niveau des administrations de souveraineté. « Il recense les manifestations et les différentes techniques de corruption qui s’y déploient, et propose des solutions pour éradiquer ce fléau à des niveaux aussi élevés et sensibles de l’Etat », souligne Dieudonné Mbarga Abene. C’est donc un rapport riche que Le Messager se propose de disséquer dans une série d’articles, en commençant ce jour par le secteur bancaire et les transactions financières.

 

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