Cameroun - Politique. Boycott de la fête nationale : foncièrement antipatriotique

Grégoire DJARMAILA | Cameroon-tribune Mercredi le 24 Mai 2017 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
L’absence constatée du Sdf, du Cpp et du parti des « Patriotes » au défilé du 20 mai 2017 est une grave entorse aux valeurs constitutionnelles et républicaines.

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Ainsi donc, le Social Democratic Front (Sdf), le Cameroon People’s Party (Cpp) et le parti des « Patriotes » (ex-Paddec) ont mis à exécution leur décision de ne pas prendre part à la 45è fête nationale  de l’unité. A Yaoundé, siège des institutions nationales où le Sdf  participe souvent en tant que l’une des neuf formations politiques représentées au parlement, aucun militant de ce parti n’a honoré cette célébration qui constitue un événement majeur de la vie de la nation camerounaise.  Dans les neuf autres régions du pays, les militants de ces trois partis ont observé le mot d’ordre de la hiérarchie de leur parti pour se mettre en marge de cette célébration qui consacre l’unité du Cameroun.  Mais à Bamenda, fief du Sdf, la consigne de Ni John Fru Ndi a été bravée par les maires de Bamenda II et III qui ont tenu à assister, aux côtés du gouverneur de la région du Nord-Ouest et du préfet de la Mezam, à la parade militaire et civile, à la place des fêtes. Fidelis Balick Awa,  flanqué de son premier adjoint et son collègue de Bamenda III, Cletus Fongu, ont eu le recul nécessaire pour mettre en avant leur statut d’élu local et faire honneur à la République.


Le  choix du Sdf a pour point de départ la fameuse  lettre-circulaire signée et adressée le 07 mai dernier par son président national à ses militants et dans laquelle il les appelle à ne pas prendre part aux festivités de la 45è fête nationale de l’unité. Le chairman du Sdf motive sa décision par ce qu’il appelle « l’incapacité du gouvernement  à apporter des solutions aux revendications des syndicats des enseignants et avocats anglophones ». Pour pratiquement les mêmes raisons, le Cpp d’Edith Kahbang Walla a surfé sur les préoccupations des avocats et enseignants anglophones pour appeler ses militants à se soustraire à cette commémoration qui symbolise notre unité nationale si chèrement acquise. Ce parti avait déjà lancé un mot d'ordre identique l'année dernière à la même occasion. Le pionnier dans cette démarche antirépublicaine et antipatriotique est le parti des « Patriotes » de Me Jean De Dieu Momo, qui, à l'issue de son congrès tenu le 1er mai 2017 annonçait qu'il ne participerait pas aux célébrations du 20 mai 2017. Une décision que le parti a justifiée par la situation qui prévaut depuis novembre 2016 dans les régions anglophones du Cameroun.


Le boycott de la fête nationale de l’unité par les militants de ces trois partis sonne pour de nombreux analystes et observateurs comme un déni de patriotisme et une entorse grave aux valeurs constitutionnelles et républicains. Dans une récente sortie, le président du Comité interministériel pour la normalisation des symboles officiels de l’Etat,  Louis Maxime Meka Meka, soulignait que le 20 mai a, au même titre que les autres emblèmes officiels de l’Etat, une valeur constitutionnelle. Le boycott de cette célébration consacrée par la constitution est donc de ce fait, une lourde bourde politique aux conséquences dommageables pour l’image et la crédibilité des partis de cette curieuse trinité. D’ailleurs, les Camerounais avertis s’étonnent de ce que d’une part, le 20 mai, une fête par essence  transpartisanne, soit devenue un objet de chantage et d’autre part, les préoccupations corporatistes soient exploitées à des fins politiciennes. Plus grave, les leaders de ces formations politiques dans leur démarche  feignent d’ignorer la batterie de mesures déployées ces derniers temps par le gouvernement pour adresser les revendications des avocats et enseignants anglophones. Du coup, il y a lieu de s’interroger sur les vrais mobiles du boycott de la fête nationale de l’unité par ces formations politiques. Mais ce dont on est presque certain, c’est que si ces leaders veulent surfer sur le climat sociopolitique actuel, c’est sans doute pour se refaire une santé politique auprès de l’opinion, à quelques mois des échéances électorales attendues.

 

« Une démarche extrémiste et identitaire »

Les explications d’Aboya Endong Manassé, professeur titulaire de science politique à l’université de Douala.

Professeur, ainsi donc, le SDF de Ni John Fru Ndi et le CPP d’Edith Kahbang Walla, tous de l’opposition, ont effectivement boycotté comme annoncé le défilé du 20 mai 2017. Comment réagissez-vous à cette démarche ?

D’emblée, on peut qualifier cette démarche comme faisant partie d’une expression extrémiste de la liberté, car sur le plan légal rien n’obligeait ces partis politiques à participer au défilé du 20 mai 2017. Mais, sur le plan de la stratégie politique, ces partis auraient dû prendre en compte le besoin d’apaisement lié au contexte socio-politique actuel, voire les événements nationaux à venir et surtout l’importance historique de cette commémoration pour prendre part à ce défilé. En effet, au-delà des débats sur les circonstances de la mise en place de l’Etat unitaire, le défilé du 20 mai est généralement un moment privilégié pour les leaders politiques de mettre en évidence leur adhésion à la consolidation du vivre-ensemble, en ravivant la flamme patriotique de leurs militants. En refusant de participer au défilé, les leaders de ces partis ont bloqué de manière autoritaire les aspirations de certains de leurs membres qui voulaient communier avec le reste de la communauté nationale, confirmant une décision du sommet des appareils politiques contre l’avis de la base.


La fête du 20 mai, instituée pour célébrer l’Etat unitaire, après les épisodes historiques qui ont divisé le Cameroun en deux parties, a un caractère sacré aux yeux des Camerounais. Quand un parti comme le SDF, première formation de l’opposition, décide de ne pas y prendre part, ne  prend-il pas le risque de ternir l’image de la première formation de l’opposition ?
Le Chaiman Ni John Fru Ndi est un leader politique incontestable, de même qu’il est membre à part entière d’une communauté qu’il ne peut renier. Il ne peut non plus exister en tant que leader politique en faisant fi d’un certain nombre de préoccupations concernant son ancrage territorial ou communautaire. Toutefois, s’il aspire à gouverner le Cameroun à partir du parti qu’il dirige, il doit nécessairement composer avec d’autres régions, avec d’autres groupes socio-communautaires au regard de la diversité culturelle et des réalités propres à la société plurale camerounaise. Il est donc difficile de structurer la conquête du pouvoir dans le contexte camerounais pour un parti politique comme le SDF en marge de l’acceptation du vivre-ensemble, notamment sans s’illustrer à la fois comme un leader tribun pour sa communauté et relais pour la nation camerounaise auprès de cette communauté; mais davantage comme un leader médiateur et conciliateur. Les récents évènements confirment malheureusement son choix pour le repli identitaire, au détriment des perspectives nationales.


En décidant de  boycotter  la fête du 20 mai, les partis concernés ont peut-être aussi voulu pour le moins mettre en difficulté  le RDPC au pouvoir...
La stratégie visant à boycotter la Fête du 20 mai 2017 en isolant le RDPC est peu réaliste, compte tenu de la forte capacité de mobilisation de ce parti dans ses implantations nationale ou locale. Mieux, les partis appelant au boycottage ne sont pas les seuls au sein de l’opposition camerounaise. En effet, d’autres partis ont bien pris part au défilé du 20 mai, qu’ils soient de l’opposition parlementaire ou extra-parlementaire. La consolidation du vivre- ensemble est un chantier vital pour l’expression de la paix et de la stabilité. Elle ne saurait se faire pour ou contre un parti, fût-il le RDPC, mais davantage par amour patriotique.


Dans les pays dits avancés, il y a des valeurs qui font l’objet d’un consensus national et avec lesquelles on ne prend pas des libertés. L’amour de la patrie en fait justement partie. Pourquoi la scène camerounaise échappe-t-elle encore à ce type de schéma ?
Même si les débats sur les circonstances de la mise en place de l’Etat unitaire continuent d’occuper l’espace public, cela ne signifie pas que l’amour pour la patrie n’existe plus au Cameroun ! Bien au contraire, ces débats témoignent de la volonté des Camerounais de connaître davantage et de s’approprier leur histoire. La connaissance de l’histoire de la nation étant un des meilleurs catalyseurs du patriotisme, on peut regretter simplement que cette histoire ne soit pas bien connue par bon nombre de jeunes camerounais. Cette situation laisse le champ libre à la désinformation et aux manipulations politiciennes. Pour revenir au boycottage, il me semble qu’il est plutôt une stratégie pour ses auteurs de faire pression sur l’ordre dirigeant à propos d’un certain nombre de revendications politiques posées dans un autre cadre que celui de la célébration de la 45e fête de l’unité. Ce qui confirme bel et bien l’option extrémiste et identitaire de la démarche.


Propos recueillis par Rousseau-Joël FOUTE         

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