USA. Achille Mbembe: «Être Noir aux Etats-Unis signifie être en danger»

cameroun24.net Mardi le 02 Juin 2020 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Dans une tribune parvenu à la rédaction de cameroun24, le philosophe et écrivain camerounais s'exprime sur le drame survenu aux Etats-unis et les manifestations en cours.

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L’AFRIQUE ET LES AFRICAINS-AMERICAINS
Par Achille Mbembe



Au sujet de l’execution de Floyd George, tout ou presque tout a deja été dit. De tout ce qui a été dit, rien, a la vérité, n’est nouveau, ce qui n’est pas une raison de ne pas le redire. Et cette fois-ci, a plusieurs, dans presque toutes les langues du monde.

Car cette fois, nul ne peut prétendre n’avoir rien vu.

C’est le monde entier qui est témoin du meurtre - encore un - d’un Noir dans un pays qui pretend être la citadelle de “la civilisation”.

C’est le monde entier qui, pendant neuf interminables minutes, a vu un homme cloue au sol, qui ne menaçait personne, en appelait a l’aide, mais a qui un policier a méthodiquement coupe en direct et sans remords le souffle, laissant derriere lui un corps inerte et sans vie.

C’est donc le monde entier qui s’interroge. Comment est-ce possible? Qu’est-ce que ce système qui rend possible un geste aussi inique?

Pour qui s’est penche ne serait-ce que rapidement sur l’histoire des descendants des Africains dans le Nouveau Monde, le cercle d’airain demeure le meme par-delà les metamorphoses apparentes.

Depuis que les premiers esclaves africains sont arrives a Jamestown en Virginie en 1619, etre Noir aux Etats-Unis a signifie être en danger. Appartenir a une espèce potentiellement menacee. C’était le cas hier, et c’est encore le cas aujourd’hui. Peu importe l’age, le genre, la classe sociale.

Ce danger peut se matérialiser n’importe quand, n’importe ou et dans n’importe quelles circonstances, sans raison objective, et c’est ce qui est le plus terrifiant. En d’autres termes, rien, en pratique, n’interdit de verser le sang noir.

Dans une large mesure, etre Noir aux Etats-Unis, c’est vivre a l’état de nature. Et c’est peut-être la definition ultime des systèmes racistes. Ils condamnent les categories racisees a une vie susceptible de basculer a tout instant a l’état de nature.

Pas parce qu’il n’existe pas d’Etat. L’Etat existe. Mais parce que quelque part, aussi bien l’Etat et ses institutions, la police et la justice criminelle en particulier ont pour fonction de les exclure du contrat de protection qui lie l’Etat a ses citoyens.

C’est ce qui explique qu’aux yeux de nombreux Africains-Americains, derriere a peu près chaque policier se cache un voyou, voire un assassin potentiel.

L’on parle des Etats-Unis. Mais les Afro-bresiliens subissent des épreuves tout a fait semblables. Tuer des hommes noirs est l’un des sports favoris de la police brésilienne dans les grandes villes comme Sao Paulo ou Rio de Janeiro.

Il n’y a pas jusqu’en Europe occidentale ou, la militarisation de la police aidant, le meme phénomène commence a prendre de l’ampleur.

Tout ceci va de pair avec la montée du racisme en general (et du racisme anti-Noir en particulier) a peu près partout. En réalité, il n’existe pas un seul pays au monde ou l’Africain ou le descendant d’Africain soit entièrement protege du danger que représente l’Etat et ses appareils, a commencer par la police.

Le monde en train de se recomposer sous nos yeux sera de plus en plus dangereux. C’est un monde dans lequel des forces vicieuses s’élèvent de partout, et réclament que chacun rentre chez lui. Or, tout le monde ne pourra guere rentrer chez soi, a supposer que ce terme veuille dire quoique ce soit.

Le grand sociologue africain-américain W.E.B. Dubois déclara autrefois que le XXe siècle serait le siècle de “la ligne de couleur”. Peut-etre esperait-il qu’il en irait autrement au cours du XXIe siecle. Tel n’est manifestement pas le cas.

Il consacra l’essentiel de sa carrière a lutter pour la reconnaissance des droits civiques des “peuples de couleur” aux Etats-Unis. Au soir de sa très longue vie, il s’installa au Ghana nouvellement indépendant. C’était en 1961. C’est la qu’il mourut le 27 aout 1963.

Avant lui, d’autres Africains-Americains étaient “rentres” en Afrique. Ce fut le cas au Liberia a partir de 1821. Entre 1822 et la guerre civile aux Etats-Unis, 15 000 d’entre eux s’installèrent dans cette colonie. Cette experience fut loin d'etre heureuse.

L’on evoque l’Afrique.

Le racisme anti-Noirs prospère sur le dos d’une Afrique a genoux et qui ploie sous le joug combine de prédateurs internes et externes.

Les descendants africains disséminés dans le reste du monde seront éternellement en danger tant que l’Afrique n’est pas debout sur ses propres jambes, et tant que ses filles et ses fils tiennent la nuque de leurs congeneres sous leur botte.

La sortie de la tyrannie est, de ce point de vue, l’une des conditions pour faire reculer le racisme dans le monde en faisant de notre continent son centre propre, sa force propre.

Organiser un retour massif des diasporas sur le continent n’est pas la solution. Les Africains-Americains sont des Americains a part entiere.

Mais comme tentent de le faire des pays comme le Ghana, tous les pays africains se doivent de developper des politiques consequentes de la diaspora.

Celles-ci doivent necessairement constitutionaliser “le droit de retour” et l’accès a la citoyenneté pour ceux et celles des descendants africains qui désirent explicitement lier leur sort a celui de l’Afrique.

L’Union Africaine, pour sa part, doit replacer au coeur de ses priorités internationales le dialogue institutionnel avec les communautés diasporiques dans les domaines économique, politique et culturel.

L’Africa Day que nous célébrons chaque année doit être l’aboutissement de tout un mois d’activités qui engagent également les communautés diasporiques. L’on n’insistera jamais assez sur la nécessité d’inscrire, dans tous les pays africains, l’histoire de ces communautés dans les programmes scolaires.

Finalement, les Africains-Americains n’ont pas été les seuls a crier leur rage. Des dizaines de milliers de femmes et d’hommes de bonne volonté de par le monde leur ont prêté leurs voix. Pour vaincre le racisme, nous aurons besoin d’une nouvelle conscience planétaire.

Petit a petit, elle se forgera au detour des mouvements de ce genre.

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