Cameroun - Politique. 2035 : L’émergence du Cameroun en question

Rigobert Kenmogne | La Nouvelle Expression Mercredi le 19 Aout 2015 Opinion Imprimer Envoyer cet article à Nous suivre sur facebook Nous suivre sur twitter Revoir un Programme TV Grille des Programmes TV Où Vendre Où Danser Où Dormir au Cameroun
Le Cameroun, à travers la politique du Renouveau conduite par le président Paul Biya, s’active pour une émergence en 2035. Pourtant, le discours de convergence se construit avec de véritables divergences au regard des paramètres et des stratégies définis.

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Le terme «émergence» est l’un des mots les plus employés au Cameroun actuellement. Il s’assimile quasiment à un refrain comme ce fut le cas pour le « Renouveau » de nombreuses années après l’arrivée à la magistrature suprême de Paul Biya. Les hommes politiques l’utilisent de manière récurrente dans les discours politiques, dans les déclarations ou dans les conversations ordinaires. Dans les médias, les acteurs du secteur l’ont pris comme lexique riche de signification et d’accompagnement des actions publiques et politiques. Les récepteurs de ces discours chargés régulièrement de sens se sont, à leur tour, appropriés le concept et, comme un sac aussi grand, chacun y met quelque chose ou l’en enlève.

La vulgarisation du terme émergence, qui a donc désormais ses quartiers dans les champs sociologique et lexicologique camerounais, commence dans les années 2000 avec les discours de sensibilisation du Président du Cameroun, Paul Biya. Que faut-il véritablement comprendre de ce concept que beaucoup utilisent uniquement pour faire plaisir au chef de l’Etat aussi bien dans le champ politique qu’ailleurs ? Selon le dictionnaire Wikipédia, l’émergence est un concept philosophique apparu au XIX e siècle, grossièrement résumé par l’adage « le tout est plus que la somme de ses parties ». Plus précisément, une propriété peut être qualifiée d’émergente si elle «résulte» de propriétés plus fondamentales tout en demeurant «nouvelle» ou «irréductible» à celles-ci. Ce concept propose ainsi de concilier la réalité avec les objectifs.

Pour être plus concret, l’émergence se construit de l’intérieur en tenant compte des réalités socio-anthropologiques qui structurent ce qu’on veut rendre émergent. L’émergence, appliquée à l’économie, est une étape intermédiaire entre le sous-développement et le développement. C’est donc parmi les pays en développement que sont apparus les pays émergents. La Chine, l’Inde et l’Indonésie, ainsi que les pays d’Amérique latine comme le Brésil et l’Argentine sont régulièrement associés à cette catégorie, avec des taux de croissance économiques considérables. Un pays émergent est un pays dont le produit intérieur brut est inférieur à celui d’un pays développé. Il a pour caractéristiques d’enregistrer une croissance rapide, avec un niveau de vie qui tend vers celui d’un pays développé. Dans le discours politique, l’émergence du Cameroun est objectif et se traduit en catalyseur de transformation du tissu économique du Cameroun.

Des atouts disponibles
 
Le Cameroun dispose d’atouts nécessaires pour son émergence. Le pays est riche en ressources naturelles (l’eau, le pétrole, le gaz naturel, etc.) et les ressources minières (or, diamant, manganèse, bronze, fer, uranium, rutile, cuivre, cobalt) très peu exploitées sur le territoire national. Les ressources humaines sont multiples et variées avec plus de 200 ethnies et environ 279 langues, en dehors du français et de l’anglais qui sont les langues officielles. La stabilité politique est un facteur qui favorise la convergence des investisseurs étrangers vers le pays. En dehors des anciens grands partenaires comme la France, la Grande Bretagne, les Etats Unis d’Amérique, le Cameroun est, de nos jours, un champ de priorité pour de nouveaux pays qui s’imposent comme la Chine, la Turquie, la Belgique, et bien d’autres partenaires multilatéraux. La volonté politique du sommet de l’Etat est un atout au réveil des leviers de croissance pour le Cameroun.

Le pays peut aussi compter sur sa jeunesse qui, de plus en plus, est mieux outillée grâce à la modernisation de l’espace monde. Au regard de la trajectoire historique avec les étapes de maturité de la population, le Cameroun depuis le 1er janvier 1960, date de l’indépendance, a traversé plusieurs axes pouvant être considérés comme agrégats positifs pour la construction des outils de projection du pays vers l’émergence. Le peuple camerounais est à 67,90% alphabétisé (classement Unesco 2014). Pourtant, le pays connait de sérieux problèmes qui l’empêcheraient d’être émergent à l’horizon 2035.

Freins à l’émergence

En lisant les discours du président Biya et les rapports divers, l’on peut s’interroger. Comme devant un écran, l’on peut de temps en temps se demander si les événements qui se déroulent relèvent de la réalité ou de la fiction. On peut donc s’arrêter maintenant, plusieurs années après et se dire que l’émergence du Cameroun est une réalité devenue fiction réelle. Dans plusieurs émissions de débats radios et télés, et selon des interviews, plus de 70% des Camerounais ne croient plus du tout en l’émergence. Certains parlent parfois de «l’utopie du siècle ou ineptie des temps modernes». Les obstacles à cette émergence partent d’abord d’une mauvaise perception par le gouvernement des signaux émis. Les documents, nombreux dans ce secteur, sont pour la plupart, en déphasage avec la réalité vécue sur le terrain. Cet écart a pour conséquence l’échec immédiat ou à terme des politiques publiques.

Le document des Nations Unies pour huit objectifs du millénaire pour le développement (Omd) n’est pas encore suffisamment bien compris au Cameroun. La date butoir pour être à jour de ces objectifs est 2015 et de ces points, aucun n’est définitivement achevé et risque de ne pas l’être. La pauvreté continue de déchirer le tissu social en créant des inégalités de tout bord. Le système éducatif, avec un taux de scolarisation et d’alphabétisation bien qu’intéressant, reste très mal compris. Depuis l’année scolaire 2000-2001, le président Paul Biya rendait l’école primaire gratuite. Au sortir de ces décisions et la réalité de l’heure, l’école primaire coûte plus cher qu’avant cette décision. Car, les acteurs sociaux se sont inscrits en total déphasage avec la vision du sommet. Le ton sur l’approche genre est connu mais les pas trainent. Le traitement gratuit du paludisme chez les enfants et les femmes enceintes est dans un effort lent. La lutte contre le Vih/sida est ralentie avec le détournement des moyens de lutte et des médicaments par certains Camerounais. Le développement traine, les indicateurs de référence pour une émergence en 2035 sont à l’orange.

Le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (Dsrp) présentait des failles notoires pour l’atteinte des objectifs dont on peut citer sept : « la promotion d’un cadre macro-économique stable ; le renforcement de la croissance par la diversification de l’économie ; la dynamisation du secteur privé comme moteur de la croissance et partenaire dans l’offre des services sociaux ; le développement des infrastructures de base, des ressources naturelles et la protection de l’environnement ; l’accélération de l’intégration régionale dans le cadre de la Cemac ; le renforcement des ressources humaines du secteur social et l’insertion des groupes défavorisés dans le circuit économique et ; l’amélioration du cadre institutionnel, de la gestion administrative et de la gouvernance ». De ces objectifs primordiaux pour des secteurs aussi variés, le Cameroun a manqué de coordination et était dans l’obligation de mettre sur pied un document dit de deuxième génération : le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce).

Le Dsce a pour ambition d’atteindre ses différents objectifs en 2020. Mais à la vitesse avec laquelle s’exécute la mise en œuvre de ce document dans les différents secteurs prioritaires d’actions, inutile d’être devin pour constater qu’aucune réelle amélioration dans la poursuite des objectifs n’est visible. De fait, l’économie de la vision et des objectifs du Dsce, est la suivante : «relever la croissance à un niveau moyen de 5,5% l’an entre 2010 et 2020 ; ramener le sous-emploi de 75,8% à moins de 50% en 2020 ; ramener le taux de pauvreté autour des 28 % en 2020 ; atteindre les Omd à l’horizon 2020.» La date de 2020, choisie pour les Omd, est une « bizarrerie » camerounaise parce que les Nations Unies l’ont fixée à 2015, ce qui démontre un déphasage avec les objectifs nationaux.

Un autre document, toujours dans le cadre de l’émergence du Cameroun et qui n’est presque pas connu de tous, c’est «Cameroun vision 2035». Ce document se confond dans l’analyse avec le Dsce. Il indique lui aussi que la « première phase de matérialisation de la vision couvre la période 2010-2020». Aquelques années du temps défini, aucune évaluation à mi-parcours n’a été faite. Dans le contexte actuel de la mondialisation, cadre propice pour le développement des peuples, la gouvernance a une place importante à jouer. Le document «Cameroun vision 2035» détaille, en terme de projection, des engagements pour le «renforcement de la lutte contre la corruption ; l’amélioration du système judiciaire ; la promotion de la culture démocratique ; la consolidation de la décentralisation ; le renforcement des capacités opérationnelles de l’Etat ; la promotion de la gouvernance d’entreprise.» L’objectif de la vision c’est l’émergence, mais la réalité présente tout autre chose.

Dans le communiqué final des concertations de la délégation du Fonds monétaire international (Fmi) du 25 avril au 8 mai 2014, il ressort qu’«aux vues de l’évolution récente de la situation macroéconomique, la croissance a été plus forte que prévue lors de la visite des services du Fmi en novembre 2013. La croissance du Pib réel est estimée à 5,5 % pour 2013 (contre 4,6 % en 2012), grâce à un niveau soutenu de dépenses d’équipement et à une augmentation de la production pétrolière et de l’activité dans le secteur des services. L’inflation est descendue à 2,1 % (contre 2,4 % en 2012). Le déficit courant, s’est creusé à 4,0 % du Pib, principalement à cause d’une augmentation des importations de biens d’équipement » (…) «La croissance devrait se stabiliser à environ 5,5 % en 2014 et, à moyen terme, grâce à la montée de la production pétrolière, au maintien des investissements publics dans l’infrastructure et au dynamisme de la demande intérieure, s’améliorer. Bien que la croissance prévue à moyen terme ait rebondi, elle n’atteint pas le niveau nécessaire pour permettre au Cameroun de parvenir au statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure d’ici à 2035. » Ces chiffres de 5,5% sur la croissance du Cameroun n’ont jamais été constants depuis la mise sur pied du Dsce de première génération en 2009. Mais le communiqué en question laisse entrevoir que le Cameroun risque de ne pas être pays émergent en 2035.

Au delà des considérations documentaires que certains peuvent juger figées, l’Etat du Cameroun souffre d’un grand problème de coordination des politiques publiques axées vers l’émergence. Pour preuves, les grands chantiers de l’émergence du septennat des grandes réalisations sont noyés dans le déficit de coordination entre les ministères et les institutions devant jouer un rôle. Aussi, le Cameroun, pour atteindre l’émergence se doit de revoir, du sommet à la base, sa stratégie. Le premier diagnostic pour la vision 2035 a été énoncé dans le discours du président Paul Biya, le 31 décembre 2013.

    Fenêtre 1 : En lisant les discours du président Biya et les rapports divers, l’on peut s’interroger. Comme devant un écran, l’on peut de temps en temps se demander si les événements qui se déroulent relèvent de la réalité ou de la fiction. On peut donc s’arrêter maintenant, plusieurs années après et se dire que l’émergence du Cameroun est une réalité devenue fiction réelle.

    Fenêtre 2 : Cameroun souffre d’un grand problème de coordination des politiques publiques axées vers l’émergence. Pour preuves, les grands chantiers de l’émergence du septennat des grandes réalisations sont noyés dans le déficit de coordination entre les ministères et les institutions devant jouer un rôle. Aussi, le Cameroun, pour atteindre l’émergence se doit de revoir, du sommet à la base, sa stratégie.

 

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